"Le 114, j'écoute ?" : un homme apparaît sur l'écran d'Angélique et échange avec elle pendant quelques minutes en langue des signes sur sa situation. Il n'a pu joindre directement les secours faute de pouvoir s'exprimer verbalement.
Angélique et une collègue, qui travaillent en binôme, évaluent l'urgence de sa situation et transmettent les principales informations au service de secours du département d'où provient l'appel : selon les cas, ce sera le 15 (Samu), le 17 (police secours) ou le 18 (pompiers) et, comme pour toute demande classique, il leur reviendra de décider quelles suites donner à l'appel.
Pour faciliter la communication, les "appels" peuvent se faire sur différents supports : en visio, texte, voix, images, par SMS, Internet et via une application dédiée, baptisée "Urgence 114".
Niché dans un coin discret du CHU de Grenoble, le service repose sur une vingtaine d'agents certains sourds et d'autres entendants, tous formés aux procédures d’urgence (SAMU, police, gendarmerie, sapeurs- pompiers), à la langue des signes, et à ce type de prise d’appels.
110 appels par jour au 114, pour 100 000 sourds profonds en France
Ils traitent en moyenne 110 dossiers par jour venus de toute la France métropolitaine et de l'Outre-mer, dont environ la moitié a trait à des questions médicales, un quart est dirigé vers la police et le quart restant vers les pompiers.
A chaque sollicitation, un petit appareil se met à vibrer dans la salle et émet une lumière verte. Chacune à leur poste derrière leurs écrans, les trois agentes présentes ce jour, une sourde et deux entendantes, se les répartissent selon les profils des requérants.
De six à sept millions de personnes sont considérées comme déficientes auditives en France mais cela recouvre des situations très diverses : sourds profonds (de 80 000 à 100 000 personnes) qui privilégieront la langue des signes, sourds d’une oreille, personnes âgées qui, au contraire, ne la maîtrisent souvent pas.
D'où la large palette de moyens de communication qui leur est proposée au 114, bien au-delà de la seule langue des signes. Les sourds et leurs proches sont incités à renseigner à l'avance l'application pour faciliter la prise en charge des appels.
Grâce à la visio, le requérant, qui peut être "stressé" au moment de l'appel, peut également montrer ce qu'il se passe derrière lui, "une grande richesse" pour faire comprendre par exemple l'ampleur d'un sinistre, souligne le Dr Véronique Equy, qui dirige le service depuis 2022.
Les agents apparaissent à l'écran et disposent d'un mannequin pour montrer si nécessaire comment procéder à un massage cardiaque, souligne-t-elle.
"Cette année, il y a eu un couple de personnes sourdes dont la maman était en train d'accoucher : l'agent régulateur a guidé les gestes et cela a permis de rassurer ce couple", tandis qu'un de ses collègues communiquait en parallèle avec le 15 pour leur envoyer une ambulance, relate-t-elle.
Ce service est méconnu des usagers
Méconnu du grand public, le Centre national relais 114, créé en 2011 à la suite de l'adoption de la loi du 11 février 2005 dite "pour l’égalité des droits et des chances", l'est hélas également auprès de son public-cible, déplore Véronique Equy.
Le 114 bénéficie d'un service informatique construit sur mesure pour ses agents et ses usagers. L'emploi de la visio notamment aurait de quoi "rendre jaloux le Samu", sourit-elle. Pourtant, "moins d'une personne sur dix" parmi les concernées a connaissance de son existence.
Elle compte sur la Journée mondiale des sourds, prévue ce samedi avec des événements partout en France, pour lui faire gagner en notoriété.
Avec AFP