La pharma des animaux - Critique de « Bugonia » de Yorgos Lanthimos

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L’employé d’une entreprise pharmaceutique kidnappe sa patronne, persuadé qu’elle est une extra-terrestre envoyée sur Terre pour coloniser l’humanité. À l’origine de ce conditionnement complotiste réside un drame familial : sa mère est tombée dans un coma irréversible suite à un essai thérapeutique, entraînant le désespoir et la ruine de la famille. Aidé de son cousin légèrement déficient intellectuellement, il compte bien sauver l’espèce humaine - et les abeilles! - mais sa douleur vengeresse demeure son talon d’Achille, ce que sa captive comprend rapidement…

La pharma des animaux - Critique de « Bugonia » de Yorgos Lanthimos

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Flirtant constamment avec le risque de s'auto-parodier, abusant d'un talent toujours intact, Lanthimos dérange mais plie malgré tout le gameÀ prendre plus qu'à laisser, à condition de le supporter.

Il est souvent intéressant de voir les cinéastes revisiter certains de leurs sujets tout en les réactualisant. Les années passant, le style a évolué ou non, et l'on se surprendra à apprécier les nuances dans la redite ou l'importance de la rupture. Remettre le métier sur l'ouvrage, c'est s'exposer à la question de ce que l'on a encore à exprimer. Et à ce jeu-là, après avoir vu son dernier opus, il est indubitable que Yorgos Lanthimos en sort gagnant et en a encore sous le pied. Bugonia est un film qui ne laissera pas indifférent, de ceux qui, comme Eddington sorti il y a quelques mois, tape tant sur tout le monde qu'il flirte avec le risque de n'être aimé par personne.

« Lanthimos dénonce la destructivité inhérente d'un capitalisme corrompu et corrupteur à partir d'un argument curieusement semblable à sa Mise à mort du cerf sacré »

Son comparse Ari Aster interrogeait, il y a quelques mois, le refuge dans l'autoculpabilisation comme la position victimaire des enfants gâtés de l'Amérique, pour mieux échapper à leurs responsabilités, sur un canevas largement inspiré de son chef-d'œuvre Midsommar. De manière similaire, Lanthimos dénonce la destructivité inhérente d'un capitalisme corrompu et corrupteur à partir d'un argument curieusement semblable à sa Mise à mort du cerf sacré. C'est effectivement autant un système que des individus qui sont pris en otage dans les deux films, et dans les deux cas c'est une erreur médicale qui en constitue l'origine. Comme si la santé, de par ses enjeux éthiques, contenait plus que tout autre domaine les limites et surtout les abus du libéralisme. 

En représentante de Big Pharma, Emma Stone se donne comme rarement à son personnage et surtout à son réalisateur. Son implication - reflet de la solidité probable d'un lien construit sur quatre films et plusieurs Oscars - offre la plus visible des garanties à ce jeu de massacre flirtant constamment avec l'obscénité et le sadisme tant sa dimension jouissive est visible. Nous n'irons pas jusqu'à dire que nous avons tout apprécié dans le flot d'effets, tantôt grinçants, tantôt farcesques, de cette démonstration très lanthimesque, c'est-à-dire s'apparentant par moments à un tombereau de sang et de purin qu'il déverse sur le spectateur à l'image de ce que subit son actrice. Mais il s'inscrit dans une démonstration cohérente et, nous semble-t-il, intéressante.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/deconstruisez-moi

Critique orwellienne du capitalisme 

Dans La Ferme des animaux, Orwell décrivait, dans une référence limpide au régime soviétique et aux principes du communisme, la façon dont, en voulant prendre la place des hommes pour gérer eux-mêmes leur habitat et vivre librement, les animaux en venaient à ressembler aux humains voire à être pires qu'eux. Dans sa fable trash à gros traits et particulièrement nihiliste, Lanthimos n'en dit pas moins la même chose, en filmant un idiot utile du capitalisme dévoilant peu à peu une abjection psychopathique caricaturale de l'Amérique dans ce qu'elle a de plus vicié et aggravant, jusqu'à l'irrémédiable la situation qu'il croit résoudre. À moins que ? C'est tout l'intérêt de ce film auquel la construction très poussée confère une illusion de fermeture, à l'image de sa fin, que de laisser ouverts les ressentis et interprétations.

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