Avec sa chronique d'une mort générationnelle annoncée, Gaël Morel vise juste et touche au coeur. Vivre, mourir, renaître est à la fois ample et modeste, nostalgique et énergique. En tout cas d'une force suffisante pour infirmer que, sur ce thème rebattu, tout a déjà été dit.
Qu'y a-t-il encore à raconter des années SIDA ? Et comment les raconter ? L'oubli aidant, de moins en moins défensif et de plus en plus inscrit dans une dynamique naturelle, de celle qui condamne, à terme, le passé à se répéter, cette période de l'acmé de la maladie n'a-t-elle pas déjà basculé dans l'Histoire ? En choisissant une approche intensément mélodramatique, et de ne pas gommer la dimension nostalgique d'une époque qu'il a lui-même vécue, Gaël Morel prenait le risque d'inaugurer l'ère du kitsch. Surtout suite au coup de tonnerre qu'a représenté la sortie de 120 battements par minute, film somme qui à bien des égards peut paraître, à propos de ces années-là, définitif.
Kitsch. Et pourquoi pas ? Les premières scènes le suggèrent fortement, revisitant des emblèmes de la culture nineties, clubbing et bal des ecstazys débutantes, réminiscences à double emploi (avec une distrib' de rôles secondaires ayant pour la plupart entamé leur carrière avant cette période ou à son orée, ce qui permet de constater le chemin parcouru d'une Amanda Lear, icône berlusconienne incarnant une tenancière de cabaret, d'une Elli Medeiros ancienne punkette technno-pop dans le rôle d'une galeriste arty ou encore de l'ado musculeux des Roseaux Sauvages, Stéphane Rideau, à présent bon père de famille). De même, la figure du triangle amoureux tourmenté par des différences de milieu, d'origine et d'attirance, l'homo et le bi, la femme hétéro et compréhensive entre eux, peut paraître éculée. D'autant qu'elle reproduit quasiment à l'identique la configuration à la base du magnifique film de Téchiné, par ailleurs mentor de Morel, les Témoins, qui décrivait avec une urgence opératique le surgissement de l'épidémie.
« Gaël Morel donne à son film une énergie condensée, à l'image de cette jeunesse fougueuse impatiente de vivre, de ces corps qui à peine frôlés se mêlent déjà. »
C'est donc un petit miracle que ce mélo assumé déjoue à ce point les écueils du déjà vu, déjà raconté, et en mieux. Parce que d'emblée Morel resserre son image, comme s'il se prévenait d'un débordement, d'un trop plein préjudiciables à la tenue de son récit, il donne à son film une énergie condensée, à l'image de cette jeunesse fougueuse impatiente de vivre, de ces corps qui à peine frôlés se mêlent déjà. En filmant la circulation d’un fluide vital, il donne à comprendre à quel point le SIDA, agent mortel tout autant propagateur, a fauché tout cela.
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En faisant confiance à son histoire follement romanesque et à ses acteurs, Morel ne s'interdit jamais la grâce et ne cède jamais totalement le terrain à la mort, même si l'agonie qu'il filme aurait gagné à être un peu resserrée, au profit de la dernière partie, la plus intéressante. Avec son titre en trompe-l'oeil, Vivre, mourir, renaître n'est pas tant l'histoire d'une renaissance que d'un réapprentissage, celui de faire avec une perte, quand ce n'est pas plusieurs, qui prend toute la place. Une douleur non pas à vif mais anesthésiante, qui n'en est pas moins béante. Le fluide semble évaporé, la vie subsiste pourtant, et il s'agira d'en exalter la beauté plus discrètement, plus ponctuellement. Les acteurs excellent à incarner ce passage à un nouvel état, particulièrement Lou Lampros qui, du haut de ses 22 ans, impressionne à mesure que le film se déploie. Tandis que Théo Christine, en ange un peu veule et volontiers fantasmatique, comme échappé d'un court-métrage de Jean Genet, émeut en représentant de cette jeunesse fauchée dans sa fulgurance et condamnée à ne pas évoluer.