Pulsion de vie

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120 battements par minute est de ces films rares qui ont le pouvoir de coller un uppercut dans l’estomac du spectateur, sans jamais cesser une seconde de faire appel à son intelligence.

Pulsion de vie

120 battements par minute est de ces films rares qui ont le pouvoir de coller un uppercut dans l’estomac du spectateur, sans jamais cesser une seconde de faire appel à son intelligence.

Cette histoire dans l’Histoire pourrait presque être la nôtre, soignants dont la génération a frôlé cette catastrophe sanitaire, politique et surtout humaine : l’émergence et l’épidémie de sida, jusqu’à l’arrivée des antiprotéases. L’histoire d’Act Up, ce mouvement militant qui a le mieux saisi l’urgence du combat contre le sida et la nécessité de l’efficacité de ses méthodes, Campillo l’a vécue intimement et a longtemps différé le projet de la transmettre. Étant concerné de très loin mais néanmoins bouleversé, on peine à imaginer l’effet cathartique du film chez les « survivants » de cette épopée, tout en saisissant d’emblée qu’il touchera bien au-delà de ce public.

Tout traumatisme non traité étant condamné à être revécu ou refoulé, ce pan de notre mémoire collective risquait d’être emmuré dans une amnésie apparente ou une vision tronquée. À cet égard, Robin Campillo réalise, à son insu peut-être, une entreprise capitale de mémoire et de métabolisation, d’autant plus que ni esprit de revanche ni volonté polémique ne viennent ternir son authenticité. Bien sûr, cela ne rend son impact que plus fort.

Cette importance historique ne serait rien si le film se contentait d’être une quelconque description. Campillo, en pleine possession de ses moyens de cinéaste, parvient à transmettre son vécu intime sans jamais s’exposer, à le restituer dans le collectif avec une parfaite distance.

Le film est foisonnant, ne s’interdit rien, alliant la mise en scène obsessionnelle de sessions et débats – brillants d’intelligence – à des rêveries et des transes musicales. Arythmique, il passe de la tachycardie des scènes d’action collective ou de souffrance individuelle à des pauses ou des diversions parfois mystérieuses mais jamais gratuites : comme ce lycéen qui observe de loin l’intervention d’Act Up dans son établissement, dont on ne saura plus rien par la suite ; ou encore ces magnifiques acteurs qui offrent une profondeur à des personnages pourtant – et rarement ce mot s’est aussi peu appliqué à ceux-ci – secondaires, tels cette mère d’enfant hémophile. Campillo ne parle jamais vraiment de lui, mais toujours à travers eux.

Il refuse également le passéisme et les reconstitutions trop évidentes, privilégiant les décors neutres et les sources musicales encore actuelles, montrant la modernité, bien avant les réseaux sociaux, d’Act Up.

Dans sa dernière partie, le scénario semble se refermer sur un couple dont l’histoire est empêchée par la maladie, pour finalement sublimer les qualités de l’ensemble du film. Et rappeler que ce mouvement collectif a été vécu à la première personne par des jeunes gens piégés par la fulgurance de la maladie, pris par l’urgence de vivre et sauvés par l’esprit de résistance.

 

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