« J'aime trop ce métier, mais j'y perds ma flamme », les soignants prêts à claquer la porte

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Manques de moyens, d'effectifs... Des soignants racontent leurs désillusions qui les poussent à raccrocher la blouse. 

« J'aime trop ce métier, mais j'y perds ma flamme », les soignants prêts à claquer la porte

Arrêtés, frustrés, en reconversion... De nombreux soignants dénoncent le manque de moyens et d'effectifs actuel dans les hôpitaux, témoignant de la dégradation de leurs conditions de travail qui peut les conduire jusqu'à la démission.

Laurent Rubinstein, 30 ans: « j'aime trop ce métier, mais j'y perds ma flamme »

Infirmier à l'hôpital Robert Debré depuis 6 ans et arrêté depuis un mois pour accident de travail et épuisement professionnel.

« C'est comme si le gouvernement se disait ‘on leur a donné du fric, on ne veut plus les entendre’ », fulmine-t-il. « Je sais bien qu'il y a eu des milliards qui ont été déboursés dans l'hôpital mais les collègues continuent de prendre la porte. Il faut trouver un moyen d'attirer les gens, de les garder. On a un bon système de santé mais s'il n'y a pas les paramédicaux derrière, on fait comment? »

« Je reçois environ 150 mails par jour pour des heures supplémentaires. Avant d'être arrêté, je les prenais, j'étais la bonne pomme. Sauf que je me suis épuisé. Je vivais pour mon métier, plus pour moi. Je n'ai plus de vie privée, plus de hobby, plus rien. On est devenu des machines. Il m'arrivait d'enchaîner 12 heures sans avoir le temps de faire pipi. »

« J'aime trop ce métier mais j'y perds ma flamme. Nous n'offrons plus des soins de qualité. Je veux pouvoir rentrer chez moi et me dire ‘aujourd'hui, j'ai bien fait mon job’. »

Céline*, 28 ans : « Les mesures prises, c'est de la poudre aux yeux »

Infirmière au CHU de Bordeaux depuis plus de 2 ans, elle déplore la dégradation des locaux et le manque de moyens.

« J'ai l'impression de faire super mal mon travail », se désole-t-elle, « j'ai une frustration, une culpabilité professionnelle. On n'a pas suffisamment de temps pour nos patients, pour les chouchouter. Ça perd de son sens. On fait ce travail pour prendre soin de l'autre et on se retrouve à ne passer que 5 minutes par chambre. »

« Les mesures prises (Ségur de la santé, ndlr), c'est de la poudre aux yeux. Le salaire, ce n'est pas le plus important, ce n'est pas la priorité. Ce que je veux c'est de vrais moyens pour les patients : de l'huile pour les masser, leur apporter des serviettes et des draps propres le week-end, avoir des lits qui roulent, de la lumière dans les chambres, des locaux qui tiennent la route... », énumère-t-elle, « il faudrait commencer par là, ensuite, on parlera de la rémunération et des heures en trop. »

« Heureusement, les gens sont bons, ils nous motivent et nous donnent une raison de nous lever le matin. C'est le monde à l'envers. Initialement, c'est nous qui sommes là pour les aider, pas l'inverse.»

Katy Chretien, 53 ans : « j'ai tout recommencé à zéro. Je ne le regrette pas »

Aide-soignante à la clinique de Quissac (Gard) depuis 18 ans, elle est en pleine reconversion. Actuellement en deuxième année de licence en Sciences du langage, elle souhaite troquer sa blouse pour devenir enseignante.

« Je suis vraiment triste. C'est décevant de voir comment ce métier a évolué », explique-t-elle.

« Ce qu'on nous a proposé, le Ségur, c'est du pipi de chat. C'est une goutte d'eau seulement. Il y en a ras-le-bol de ne pas être reconnu à sa juste valeur. »

« Hiérarchiquement, nous nous situons en dessous de l'infirmière. On nous voit tout le temps comme ‘celles qui nettoient les derrières’, c'est tout. Alors qu'on est celles qui sont au plus près du patient. »

« Pour moi, reprendre des études, ce n'est pas un échec », souligne-t-elle. « Une copine l'a fait avant moi et je me suis dis : ‘pourquoi pas?’ C'est un challenge vraiment intéressant, j'ai foncé. A 53 ans, j'ai dû revoir tous mes projets, j'ai tout recommencé à zéro mais je ne le regrette pas. »

Lila*, 49 ans: « on a commencé à toucher à la dignité de nos patients »

Infirmière anesthésiste au pôle de santé Sarthe et Loir en pleine reconversion. Actuellement en 4e année de psychologie.

« J'aime beaucoup mon boulot mais je n'aime pas l'organisation autour. C'est de plus en plus difficile à supporter », raconte-t-elle.

« J'ai vu une dame de 85 ans faire ses besoins dans le couloir. Arriver à de telles choses... ça ne rentre pas dans ma conception de soignante. On a commencé à toucher à la dignité de nos patients. »

« C'est la raison pour laquelle j'ai entamé une reconversion en psychologie, c'est ce qui se rapprochait le plus de mon métier. Plus le temps passe, plus je me dis que j'ai bien fait. »

*Les prénoms ont été modifiés

Avec AFP

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