Garde à vie

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Critique de "Médecin de nuit" de Elie Wajeman (sortie le 16 juin 2021)

Garde à vie

Prévu pour un festival de Cannes entre temps annulé, le film d’Elie Wajeman a subi comme beaucoup d’autres les dérèglements covidiques et vu sa sortie maintes fois repoussée. Laissons-lui la chance d'avoir la visibilité qu'il mérite!

Mikaël est un confrère aux abois, qui traîne péniblement une carcasse aussi lourde que ses piles d’ordonnances de Subutex qu’il prescrit à la chaîne et que les enquêtes que la CPAM lance à son sujet. Tiraillé par une loyauté à sens variable qui le condamne à se retrouver piégé dans un destin à sens unique, un fatum d’autant plus absurde – ou tragique, c’est selon – qu’on voit clairement comment il en a été le seul artisan, c’est à la nuit de garde où il est censé solder ses comptes que nous assistons.

Mikaël, c’est Vincent Macaigne, qui injecte à sa dégaine habituelle de Droopy une bonne dose de caféine et d’alcool. Il est aussi doué dans la bonté naïve et la confusion que dans la conviction violente avec laquelle il défend certains principes. Il nous suggèrerait que le tempérament borderline colle bien avec la médecine de nuit qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Convenu mais efficace.

La narration est tendue, la caméra nerveuse, les scènes se succèdent comme de multiples éclats de verre d’une vie décomposée. On ne se soucie rapidement plus de qui est réaliste ou pas dans ce calvaire hanté par Ferrara et Scorsese, d’autant plus crédible que la moiteur colle à l’image, que les regards supplantent les mots, que la façon dont ceux-ci sont balancés importe plus que leur signification. C’est un film âpre réalisé et interprété les sens en éveil. On imagine l’urgence et la vitesse, ce qui n’empêche pas la précision. On laisse Elie Wajeman nous perdre tout en étant constamment conscients qu’il sait très bien où il va.

Les premières scènes, très justes, donnent au film un aspect politique dont il ne se départira jamais totalement, même si bien évidemment c’est vers l’univers très codifié du film noir que Wajeman lorgne. Un univers où l’argent sert à acheter l’amour, et où le pouvoir est un jeu dont on oublie peu à peu le but et les règles. Le loser de service, un pharmacien empêtré dans les trafics, est campé par un Pio Marmaï qui nous prouve que sa décontraction sied fort bien aux personnages antipathiques. Quant à Sara Giraudeau, elle n’en finit plus de prêter à chaque rôle qu’elle endosse, et que l’on qualifie à tort de secondaire, une grâce et un mystère désarmants.

Médecin de nuit parle aussi d’épuisement, de difficultés à conjuguer des vies multiples, de tous ces trous dans les mailles du filet de nos vies, ces fissures dans le mur bétonné de notre organisation sociétale, ces angles morts au sein de notre déontologie…de tout ce qui s’élargit, se lézarde et se multiplie inexorablement jusqu’au point de rupture. So 2021…

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