Deadly sitter

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Critique de "Chanson Douce", de Lucie Borleteau (sortie le 27 novembre 2019). 

Deadly sitter

Myriam, avocate ayant mis sa carrière entre parenthèses pour s'occuper de ses rejetons, veut reprendre le chemin du barreau. Elle choisit pour cela une nounou bien sous tous rapports. Trop empressée de retrouver sa liberté, elle en connaîtra d'amères conséquences. En passant de l'écrit à l'écran, cette Chanson Douce perd en subtilité...

Parmi les spectateurs qui découvriront Chanson Douce, l'adaptation du roman de Leïla Slimani, Prix Goncourt 2017, il y aura ceux qui connaissent la chute et ceux qui l'ignorent. Gageons que les premiers seront les moins nombreux, si l'on excepte le fait que la promotion du film ait fait peu de cas du vieux principe partagé par Hitchcock et Clouzot de ne jamais révéler la fin d'une intrigue. Lucie Borleteau a fait ce choix de ne rien divulguer avant la toute dernière scène, choix radicalement opposé à celui de Leïla Slimani, qui jouait cartes sur table dès la première page. Comment le récit s'en est-il trouvé changé ? Et à l'avantage de qui? 

Le choix de Leïla Slimani était assez limpide: en évacuant d'emblée l'horreur de ce fait divers, elle permettait ainsi au lecteur de se focaliser sur l'enjeu essentiel du roman, qui oscillait habilement entre portrait psychologique au scalpel des conséquences de la déshumanisation, satire macabre des travers de nos générations modernes et provocation plus politique - le fait que la jeune mère soit maghrébine se révélait ainsi beaucoup plus important que dans le film, où la question des origines de Myriam est évoquée dans une seule scène, au cours de laquelle Leïla Bekhti prendra bien soin de ne pas renchérir. On peut bien sûr faire peu de cas du fait que le rôle de Myriam aurait pu être tenu par n'importe quelle actrice occidentale, cela n'aurait d'ailleurs rien changé au déroulement de l'intrigue. Evacuer cela est un choix tout à fait légitime, et finalement le reflet d'un air du temps faussement égalitariste, mais il montre aussi à quel point notre cinéma est trop souvent politiquement correct.

La caricature de ces bobos refusant les aspects négatifs de la parentalité et recourant complaisamment à un esclavagisme light pour pouvoir assouvir leurs plaisirs immédiats tout autant que leur besoin d'accomplissement est en revanche très bien retranscrite. C'est en cela que le film tire sa force, Lucie Borleteau dénonçant mine de rien un féminisme bourgeois dans lequel, pour pouvoir accéder à leur liberté, des femmes n'hésiteraient pas à en domestiquer d'autres, moins chanceuses. Des jeunes qui aurait eu le talent de réussir à digérer en une génération la culpabilité judéo-chrétienne, en somme. 

Lucie Borleteau avait le choix de faire cheminer son film sur plusieurs pistes. Au final, l'intrigue, après s'être étiolée, se recentre, probablement trop tardivement, sur le thriller psychiatrique. Tendance Répulsion, de Polanski. La nounou, incarnée par une Karin Viard qui n'a pas besoin d'en faire des caisses pour rester impériale, se met à halluciner sévère, le tout dans une facilité malheureusement récurrente à amalgamer souffrance sociale et psychiatrie lourde. Là où Slimani, dans une vision à la fois psychologique et politique, montrait, comme Genet avant elle, à quel point il est facile de rendre invisible son semblable, et les conséquences que cela avait sur ces oubliés, Borleteau fait de la folie de son personnage principal un artifice scénaristique. Le final, que l'on n'est donc pas censés connaître même s'il se devine aisément, n'en est que plus grandiloquent, même si la réalisatrice avoue son échec à le mettre véritablement en images. La réponse à notre deuxième question est donc inéluctable: si Leïla Slimani a amplement mérité un Goncourt moderne et subtilement transgressif, Lucie Borleteau ne risque hélas pas de repartir avec un César. Même si le film reste d'une qualité plus qu'honorable...

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