Culture sur canapé

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En attendant le déconfinement total et le retour aux salles obscures, WUD debriefe les séries du moment, de celles qui donnent envie de se désabonner de Netflix à celles qui nous feraient presque regretter le confinement.
Episode 1: FREUD, de Marvin Kren (1 saison, 8 épisodes)

Culture sur canapé
La drôle de série que voilà. Et si, pour sortir l'idole Freud de son crépuscule tenace, de jeunes cinéastes furieusement modernes le rendaient Netflix-compatible et décrivaient avec moultes digressions l'aube de sa célébrité? Quand il n'était encore qu'un jeune médecin hospitalo-universitaire honni par ses pairs, autant en raison de son arrogance et de son audace que, il faut bien le dire, de son mépris des règles, de sa cocaïnomanie décomplexée et, de façon moins reluisante, de sa judéité. Et quand son pays natal faisait encore partie d'un Empire qui avait soumis le peuple hongrois sans volonté d'une quelconque concorde.

C'est ainsi que Freud est une série à la triple ambition. Celle de "faire" moderne, et en cela les réals y parviennent tristement, n'échappant à aucun des poncifs actuels concernant la narration, éclatée et écrite sous speed comme il se doit, ou la mise en scène, écrasée par la magnificence des décors et l'exigence de remplir un cahier des charges. Celle de proposer une vision de la naissance de la psychanalyse, et nous reviendrons par la suite sur cet aspect. Et enfin celle de donner un aperçu d'une époque, d'un pan de l'Histoire, celle de l'Empire austro-hongrois d'avant la Grande Guerre. C'est peut-être cet aspect qui est le plus réussi, notamment parce que la formation de cet Empire et ses vicissitudes sont très peu abordées dans nos manuels scolaires. Il y a une curiosité presque enfantine à (re)découvrir ces casques à pointe, ces complots d'aristocrates déchus et ces corps de métier que sont la médecine, l'armée et la police, engoncés dans leurs protocoles, leurs castes et leur violence plus ou moins camouflée. Freud se retrouve ainsi pris au coeur de manoeuvres destinées à déstabiliser l'Empire qui, à des degrés divers, vont ébranler les fondements de ces corporations vermoulues et incapables de se renouveler. Sur un mode feuilletonnesque proche des romans historiques du XIXe siècle, à la façon d'un Jules Verne ou d'un Eugène Sue, la série nous entraîne à travers les méandres de la grande Histoire. Même si c'est de façon totalement invraisemblable, on est en droit d'y éprouver un certain plaisir.

Revenons au point névralgique de la série: la façon dont les auteurs appréhendent le rapport de Freud à son métier, à ses pairs, à l'altérité tout simplement. Ils nous décrivent ainsi un Freud constamment torturé entre son profond narcissisme à tendance mégalomaniaque et son envie d'être utile, entre sa soumission aux convenances et aux conventions et son envie de rebellion. Un Freud humain en somme, brûlant la chandelle par les deux bouts et vivant plusieurs vies en une, au point de s'y consumer. Mais en choisissant d'en faire un enquêteur s'alliant à une patiente hystérique et à un flic traumatisé de guerre, ils relient la naissance de la psychanalyse à la prise en charge de traumas avérés et sordides, à une époque où la soldatesque et la gent féminine servaient de chair à différents canons. Ce qui est plutôt bien vu, malgré là encore des incongruités cliniques et scénaristiques à foison. Les symptômes de certains malades sont proches du Grand Guignol, mais après tout, pour qui a l'expérience des états de stress post traumatique, la reviviscence charrie elle aussi son lot d'horreurs macabres. Et le trauma de guerre, retranscrit grâce à une interprétation puissante par l'interprète du commissaire de police intègre et obstiné, est particulièrement bien décrit. Le pied de nez adressé au démiurge de la psychanalyse est finalement de le voir tourner le dos sciemment à la puissance du trauma psychique, en choisissant d'enterrer les faits dont il a été témoin pour pouvoir poursuivre sa carrière. Comment ne pas y voir une métaphore de la façon dont il a lui-même déconstruit ses théories premières, en faisant du trauma sexuel la clé de voûte de l'architecture de la psyché pour ensuite décréter que ce trauma est avant tout un fantasme d'enfant pervers? 

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