Vous avez dit "dépassement", mais qui dépasse ?

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Une des (rares) qualités de l’âge est que l’on a vu certaines pièces se jouer plusieurs fois. Ainsi la scénette qui vient de s’ouvrir – elle se donne encore - sur la tentative de régulation des dépassements d’honoraires, n’est qu’un des actes de la longue relation, le plus souvent conflictuelle, entre les médecins et l’Etat.

Vous avez dit "dépassement", mais qui dépasse ?

Elle commence en … 1930. Aussi, de 1930 à 2012, il n’y eut de tarif opposable unique et national (entre 1945 et 1971, il était négocié par les caisses primaires d’assurance maladie) que pendant à peine neuf années (1971-1980).

 

En créant le secteur 2, le gouvernement de Raymond Barre cédait à la facilité : il voulait permettre aux médecins, avant les élections de 1981 qui s’annonçaient difficiles pour la Droite parlementaire, d’accroître leur revenu sans peser sur les dépenses d’assurance maladie qu’il gérait avec rigueur. Au début, l’écart était minime, et peu de médecins choisirent le secteur 2. Puis, avec les décennies, l’écart s’est creusé, au point de devenir impossible à combler par une augmentation des tarifs du secteur 1 pour atteindre un niveau « raisonnable », si par là on entend un tarif des consultations comparable à celui des pays proches.  Quant au revenu des médecins, toute analyse montre que les médecins français, secteurs 1 et 2 regroupés, gagnent très sensiblement moins bien leur vie que leurs confrères : entre un tiers et la moitié moins ! Certes, il existe des inégalités d’accès aux soins, mais à peine 1 000 médecins (sur 120 000 médecins libéraux) facturent des honoraires supérieurs à 90 €, moins de 1% donc.

 

Quant à « l’accord historique », il augmente les dépenses d’assurance maladie, ne résout rien ni pour ceux qui voulaient plafonner les dépassements, ni pour ceux qui souhaitaient augmenter les tarifs opposables à un « juste » niveau. En outre, comme les modalités d’application sont incertaines, le dossier reste ouvert. Il le sera jusqu’à ce que – c’est toujours comme cela que cela finit – le Gouvernement recule encore, plus qu’il ne vient de le faire.

On aurait pu s’attendre à ce que, fort des leçons du passé, la nouvelle équipe prenne le dossier autrement. En effet, la plus grande inégalité n’est pas tant que tel médecin soit plus cher que tel autre, mais que les malades atteints de la même affection ne reçoivent pas les mêmes traitements selon l’endroit où ils entrent dans le système. Ce n’est plus seulement une question d’argent, mais sans dramatiser, souvent, une question de vie et de mort. Par ailleurs la question du montant des honoraires pouvait disparaître en proposant à ceux qui le souhaitaient, un paiement à la capitation, encore faut-il étudier ce que cela veut dire pour les patients, les médecins et les financeurs.

 

*Jean de Kervasdoué est économiste de la santé, titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et membre de l'Académie des technologies. Il a récemment dirigé la rédaction du Carnet de Santé de la France (Economica & Mutualité Française), paru en octobre 2012

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