Une baleine sans pêche

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Critique de "The Whale", de Darren Aronofsky (sortie le 8 mars 2023). Charlie, professeur d'anglais ne s'étant jamais remis de la perte de son compagnon, pour qui il avait quitté femme et enfant, est depuis en obésité morbide, dans une réclusion à la fois subie et volontaire. Alors que son état de santé se détériore, sa fille, adolescente en lutte contre la Terre entière, reprend contact avec lui. Vont-ils pouvoir se rencontrer?

Une baleine sans pêche

The Whale est un film gênant à plusieurs niveaux.

Darren Aronofsky est un réalisateur à la vision terriblement binaire. Une vision autrefois masquée, ou en tout cas atténuée, par des artifices impressionnants de virtuosité, mais qui transparaît d'autant plus que cette histoire-ci est narrée par le biais d'un dispositif théâtral presque épuré. Persiste la tendance du metteur en scène à manipuler l'émotion, dans un propos cette fois tellement doloriste qu'aucune place n'est laissée à la moindre alternative, la moindre subtilité : la nourriture n'est vue que comme une drogue, l'obésité comme une autopunition. Et nous, pauvres spectateurs, sommes ramenés de gré ou de force à une position de voyeur, le présupposé étant que l'obèse est le monstre et que, comme tout animal de foire, notre regard est destiné à se détourner de lui ou à être empreint de curiosité malsaine. Il pourrait s'agir d'un moyen, certes basique, d'offrir enfin un regard intermédiaire, direct et sans pathos. Mais le choix du cadre, volontairement étréci, a pour conséquence d'empêcher la cohabitation, en plan resserré, de Charlie et de ses "visiteurs". Exclu même du cadre, il l'est également de tout rapport humain, soit dans une confrontation en champ - contrechamp avec des regards dégoûtés ou dédaigneux, soit dans des étreintes où il est condamné à l'invisibilité.

Tout pose problème dans The Whale. Le film est construit sur cette notion d'excès, symbolisée par l'argument choc - un homme de 270 kilos comme vous ne l'avez jamais vu, Oscar de la transformation à la clé - sur lequel il repose. Pourtant, il ne s'accompagne d'aucune nuance, d'aucune subtilité pour le rendre un minimum universel. L'histoire, tout d'abord, est empesée d'un contexte narratif envahi, jusqu'à l'obsession, de religiosité, alors que rien dans le propos d'Aronofsky ne s'élève jamais au niveau d'une quelconque spiritualité. Rarement un film a autant parlé de Dieu, du bien et du mal, en évacuant à ce point toute réflexion, tout point de vue sur le sujet. Chez Aronofsky tout est amalgamé, tout est opaque, tout est démonstratif dans tous les sens. Il y a dans la plupart de ses films un malin plaisir à jouer avec les concepts, à nous égarer en les empilant sans jamais un début d'exploration de chacun d'eux, pour mieux nous conduire vers le climax émotionnel attendu et, comme à son habitude, annoncé dès le début. Les suspenses censés ponctuer ce chemin de croix sont frelatés par une intrigue secondaire sans intérêt. 

Rien ne manque à ce convoi cheminant vers nos circuits lacrymaux, chaque plan sur le moindre aliment étant systématiquement accompagné d'une musique enténébrante, avec orage symphonique une fois que la crise de boulimie ne peut plus être retenue. La pluie y est incessante, comme dans Noé, mais le soleil reviendra au bon moment. Il est surprenant de voir à quel point le film ressemble, de par son procédé et certains de ses thèmes, à the Son, sorti presque simultanément, et échouant de la même façon à offrir la description nuancée d'un tableau clinique. Dans les deux cas, le spectateur sortira satisfait de l'illusion d'avoir compris quelque chose d'un vécu autrement plus complexe et multiple que cette somme de poncifs culpabilisants.

Notons toutefois, et ça en est pour le coup émouvant, que malgré toutes ces entraves à la moindre authenticité, Brendan Fraser parvient à nous faire croire en son personnage grâce à un jeu, pour le coup, en apesanteur et empli d’une douceur déconcertante. Quand Aronofsky ose, trop rarement, lui accorder une place, le film se réhausse singulièrement. Ce qui, dimension christique oblige, tient presque du miracle. 

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