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Redressement judiciaire. Voilà le verdict annoncé par le tribunal de commerce de Paris en juin dernier à l’encontre du centre de santé Richerand, implanté depuis 50 ans dans le 10e arrondissement de Paris. Au même moment, la Croix-Rouge annonçait fermer 6 de ses centres de santé franciliens en raison de pertes décrites comme « insoutenables ». Et en 2023, c’était le centre de santé Sévigné, structure historique au cœur de Lyon, qui avait annoncé sa cessation d’activité sur décision de la fondation dont il dépendait.
75% des centres de santé ne sont pas à l'équilibre
Une situation qui n’est en rien isolée. Dans une enquête parue en 2021 et portant sur plus de 200 centres de santé, l’Agence nationale d’appui à la performance (ANAP) constatait que 75 % n’étaient pas à l’équilibre*. Même constat 2 ans plus tard dans une analyse des comptes de 31 structures menée par le Regroupement national des organisations gestionnaires de centres de santé (RNOGCS)** : les trois quarts étaient en déficit. Cette étude constatait en outre que les gestionnaires, c’est-à-dire les associations, fondations ou autres institutions soutenant les centres de santé devaient mettre la main au pot pour équilibrer les comptes, et que leur contribution représentait un tiers du résultat des centres de l’échantillon.
Pourquoi tant de déboires économiques ? Le sentiment général, rarement exprimé officiellement mais souvent sous-entendu, est qu’une partie de l’explication tient à la mauvaise gestion de ces centres. Des affaires comme celle qui a conduit à la fermeture de centres associatifs COSEM, dont les dirigeants sont visés par une enquête pour escroquerie et enrichissement personnel, ne sont pas étrangères à cette perception.
Cadre économique défavorable
Mais si l’on en croit les premiers concernés, les raisons doivent davantage être recherchées du côté d’un mode financement à revoir de l’activité des centres de santé plutôt que de réelles défaillances dans leur gestion. « La tarification des soins est tout simplement inadaptée au maintien de la qualité des soins, estime le Dr Jeanne Villeneuve, directrice du centre Richerand en cessation de paiement. Si on enchaînait les consultations et les actes techniques, si on choisissait une patientèle favorisée et plutôt en bonne santé, on s’en sortirait. Mais les centres qui se cassent la figure sont des centres qui ont une vraie vocation sociale, qui cherchent à maintenir un temps de consultation suffisant pour une population précaire, qui appliquent le tiers-payant intégral, qui font de la prévention et de l’aller-vers… ».
La solution ne peut passer que par une réorganisation totale du mode de financement des centres de santé
Bien sûr, la jeune généraliste reconnaît que certains libéraux peuvent, eux aussi, avoir cette forme d’engagement, souvent au prix d’horaires à rallonges. « Quand ils le font, cela impacte leur qualité de vie, tandis que nous, nous avons des salariés », observe-t-elle. En d’autres termes, quand chaque heure de travail doit être décomptée, la hauteur de la ligne de flottaison économique est nécessairement impactée. Certes, comme le rappelle l’ANAP, 16 % des ressources viennent d’un accord national signé avec l’Assurance maladie, et sont indépendantes du nombre d’actes réalisés. Mais cela reste insuffisant pour changer la donne. C’est pourquoi la solution ne peut passer que par une réorganisation totale du mode de financement des centres de santé. « Il faudrait une rémunération d’équipe, plutôt forfaitaire, avec des objectifs de prise en charge qui prendraient en compte les aspects de précarité et de prévention », souhaite le Dr Hélène Colombani, généraliste, directrice des centres de santé de la ville de Nanterre (Hauts-de-Seine) et présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). Or il se trouve qu’en 2025 doivent s’ouvrir des négociations conventionnelles pour rediscuter du financement des centres de santé par l’Assurance maladie. Une occasion de changer de modèle ? « On attend un pas dans cette direction », affirme en tout cas Hélène Colombani.
https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/paris-le-modele-des-centres-de-sante-non-lucratifs-vacille
Ne pas confondre…
D’autres centres de santé, à dominante dentaire ou ophtalmologique, connaissent des déboires depuis quelques mois. Mais leur situation n’a rien à voir avec celle des centres associatifs qui peinent à joindre les deux bouts.
Avec les centres de santé en difficulté, c’est un peu comme avec les chasseurs du fameux sketch des Inconnus : il faut savoir faire la différence entre les bons et les autres. C’est ainsi qu’on ne doit pas mélanger la situation des centres contraints de fermer pour des raisons économiques, comme ceux de la Croix-Rouge ou le centre Richerand, et celle des nombreux établissements déconventionnés au cours des derniers mois.
C’est ainsi qu’en avril dernier, l’Assurance maladie a en effet annoncé avoir engagé des procédures à l’encontre de « 10 centres de santé dentaire d’un même réseau », après une enquête ayant permis de mettre à jour de nombreuses dérives : « Facturations fictives, multiples ou incohérentes, non-respect des référentiels de bonne pratique ou des conditions de prise en charge prévues à la nomenclature des actes techniques (CCAM), délabrement de dents saines… »