
© Midjourney x What's up Doc
Mais sont-ils réellement efficaces ? Peuvent-ils s'intégrer durablement dans la pratique médicale ? Le Dr Pierre De Maricourt, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, partage son point de vue mais reste formel sur un point : « Les outils numériques ne peuvent être qu’un complément. Quand on présente un trouble mental, il faut bénéficier d’une évaluation diagnostique par un médecin, généraliste ou psychiatre. »
La téléconsultation un outil efficace à ne pas sous considérer
Parmi les solutions numériques les plus répandues la téléconsultation occupe une place de choix. Pierre De Maricourt souligne que cette pratique est tout à fait adaptée à la plupart des troubles psychiatriques : « La téléconsultation n’est pas une sous-psychiatrie. On peut très bien faire son travail à distance et cela convient à de nombreux patients ». Elle présente des avantages concrets dans un contexte de pénurie de praticiens et permet de lever certains freins liés à la stigmatisation.
« En psychiatrie, la pénurie est globale. La téléconsultation permet de s’affranchir de cela et peut être particulièrement utile. Par ailleurs, beaucoup de patients tardent à consulter à cause de l’auto-stigmatisation. Le fait de rester derrière un écran peut aider certains à franchir le pas. ». Toutefois, la téléconsultation atteint ses limites dans certaines situations, notamment lorsqu’il s’agit de gérer des urgences psychiatriques.
Le risque suicidaire, par exemple, impose une attention particulière : « Dès le début du suivi, il est essentiel d’établir un plan de crise : identifier les interlocuteurs en cas d’urgence, connaître l’adresse du patient, disposer des coordonnées de son médecin traitant… Cela permet d’intervenir rapidement si l’état du patient se dégrade. ».
Coaching et auto-questionnaires... des applications utiles mais insuffisantes à la prise en charge des troubles psychiatriques
Outre la téléconsultation, d’autres dispositifs numériques gagnent en visibilité : applications de coaching, rappels de traitements, agendas du sommeil ou encore auto-questionnaires de symptômes. Pour Pierre De Maricourt ces outils peuvent représenter un appui non négligeable, à condition de bien en comprendre les limites : « Le risque serait de croire qu’un chatbot ou un coach sur une application suffit à traiter une pathologie psychiatrique. »
Toutefois ces technologies peuvent jouer un rôle intéressant en soutien des soins, notamment en aidant les patients à mieux suivre leur traitement : « L’observance thérapeutique est un enjeu majeur, surtout en psychiatrie. Certaines applications permettent de rappeler la prise des médicaments ou d’enregistrer leur administration, ce qui peut encourager une meilleure régularité. Ces outils peuvent également nous aider dans notre pratique. En effet, grâce aux données recueillies (humeur, sommeil, rythme de vie) on peut avoir une idée plus fidèle de ce que traverse le patient entre deux rendez-vous. Cela limite les biais de mémoire et aide à ajuster les prises en charge. »
Pierre De Maricourt insiste cependant sur le fait que ces outils ne remplacent en rien l’évaluation clinique, ni le lien thérapeutique : « Ce mouvement actuel autour de la santé mentale est positif, mais il faut rester vigilant sur la frontière entre prévention et prise en charge de pathologies avérées ».
Les outils numériques peuvent jouer un rôle en facilitant la prise en charge précoce
Cette frontière, justement, mérite d’être mieux explorée. Car nombre de souffrances psychiques ne relèvent pas encore de la psychiatrie mais appellent un soutien, un accompagnement, une écoute pour une orientation vers une ressource de soins proportionnée et appropriée. Dans ce cadre, les outils numériques peuvent jouer un rôle clé en facilitant une prise en charge précoce, à un stade où le recours à un psychologue, un psychothérapeute ou même à un outil de coaching ou d’auto-évaluation, permettrait d’éviter que le trouble ne s’aggrave.
Cette réponse graduée aux besoins psychiques, à la fois en termes d’intensité et de nature des intervenants, participe d’une meilleure orientation des patients comme d’un usage plus pertinent des ressources médicales. D’autant plus que la psychiatrie traverse une crise profonde : près d’un poste de psychiatre sur cinq est aujourd’hui vacant en France, et certaines zones du territoire sont totalement dépourvues de spécialistes. Dans ce contexte, tout ce qui peut permettre de mieux réguler les parcours et d’agir en amont devient essentiel, à la fois pour les patients et pour le système de santé.
Vers une psychiatrie enrichie par les données numériques
L’analyse des données issues de l’usage de nos smartphones comme le nombre de pas effectués, le rythme du sommeil, la fréquence ou la tonalité de la voix ouvre de nouvelles pistes pour mieux comprendre les troubles psychiatriques. Ces signaux comportementaux, parfois appelés « phénotypes digitaux », intéressent de plus en plus la recherche. « On sait, par exemple, que lorsqu’une personne est déprimée, elle marche moins, parle plus lentement, a moins d’interactions sociales. Ces données peuvent permettre de suivre l’évolution d’un état psychique » explique Pierre De Maricourt.
Ces outils ne permettent pas encore d’établir un diagnostic formel mais ils peuvent néanmoins fournir des indices précieux pour affiner le suivi des patients : « Votre téléphone ne peut pas vous diagnostiquer une dépression, mais il peut capter des variations dans votre comportement qui pourraient signaler une amélioration ou, au contraire, une rechute. ».