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En février 2018, à la demande des représentants du personnel, l’Hôpital Américain de Paris (AHP) fait appel au cabinet Technologia pour réaliser une étude sur les risques psychosociaux. Le rapport de 75 pages, fondé sur les réponses de la moitié des employés, décrit une situation de travail marquée par une souffrance généralisée.
Le cabinet Technologia alerte : « Le sentiment de fatigue psychique et de stress est palpable pour l’ensemble des services. Le management est perçu par les salariés comme descendant, autoritaire, voire parfois menaçant. » Le rapport dénonce également un « manque de soutien » et des « horaires à rallonge », exacerbant l'épuisement du personnel. Il recommande vivement d’approfondir la politique de prévention des risques professionnels.
La direction de l’hôpital, cependant, s’oppose à la publication du rapport et utilise les voies judiciaires pour en empêcher la diffusion. Cela retardera sa prise en compte pendant plus de trois ans. Cette réticence a été particulièrement marquée lors de l’opposition de la direction devant la Cour de cassation, une démarche rarissime dans ce type de dossiers.
Le suicide d’un anesthésiste : un drame révélateur
Le suicide d'Emmanuel Marret, un anesthésiste de l'hôpital, vient tragiquement illustrer l'ampleur de la souffrance des salariés. « Le stress était omniprésent », confie un collègue, sous couvert d’anonymat, dans l’enquête de Radio France. Emmanuel Marret, selon plusieurs témoignages, avait exprimé son mal-être à plusieurs reprises. « Il vivait une pression constante, et personne ne semblait l'entendre », rapporte un autre membre du personnel.
Le suicide de cet anesthésiste a été un choc pour ses collègues, mais aussi un signal tragique qui a révélé l’ampleur du mal-être au sein de l’établissement. « Il n’est pas le seul à souffrir. On a l'impression d'être complètement abandonnés », déplore un collègue, ajoutant que la direction n’avait pas pris à temps la mesure de la souffrance psychologique des employés.
Des tensions exacerbées par un management autoritaire
Le rapport de Technologia met en évidence des tensions liées à un management jugé autoritaire et parfois menaçant. « La hiérarchie exerce une pression constante, avec des exigences de performance qui ne tiennent pas compte des limites humaines », explique un salarié sous couvert d’anonymat.
Les témoignages recueillis lors de l’enquête de Radio France dépeignent un environnement de travail où le stress est omniprésent. « On nous demande toujours plus, sans jamais prendre en compte notre fatigue », témoigne un médecin. « Dans certains services, les responsables sont absents, voire indifférents aux souffrances des équipes. C'est comme si on était des robots. »
Le luxe à l’hôpital
Bien que l'Hôpital Américain se distingue par son image d'excellence et de luxe, attirant une clientèle internationale fortunée, cette façade cache des conditions de travail particulièrement éprouvantes pour le personnel. « Les patients VIP sont choyés comme des stars, mais les employés sont laissés à eux-mêmes », déclare un membre du personnel.
L'hôpital mise sur des prestations de haute qualité pour ses patients : suites de luxe, services personnalisés comme dans les plus grands hôtels parisiens, avec livraisons de fleurs, voiturier, et même des repas préparés par des chefs étoilés. Toutefois, ces prestations contrastent fortement avec la pression exercée sur les soignants. « On doit faire face à des horaires interminables et à une charge de travail insoutenable, mais il semble que cela n'atteigne personne à la direction », déplore un autre salarié.
Les réponses de la direction
Face à la montée des critiques, la direction de l’AHP a mis en place quelques dispositifs pour soutenir le bien-être des employés, comme une permanence psychologique, une plateforme de signalement anonyme, et des référents pour le harcèlement. « Nous avons pris des mesures pour mieux accompagner nos équipes », explique la direction de l’hôpital.
Cependant, ces mesures, jugées insuffisantes par le personnel, sont arrivées trop tardivement. « Ce qui manque, c’est une véritable politique de prévention des risques psychosociaux et une révision complète de la manière dont le personnel est géré », souligne un médecin. Le manque de soutien et le tabou autour de la souffrance au travail persistent, empêchant de nombreux employés de se confier.
L’Hôpital Américain, financé en grande partie par des donateurs influents comme Vincent Bolloré et Bernard Arnault, attire les personnalités les plus riches et puissantes. Toutefois, selon plusieurs sources, cet aspect financier semble parfois prévaloir sur les préoccupations liées au bien-être du personnel. « L’argent et les dons dictent en grande partie la gestion de l’établissement, alors que les employés luttent contre des conditions de travail de plus en plus dégradées », affirme une source proche de l'hôpital.
Les pressions financières et la course à l'image d'excellence de l'hôpital sont souvent pointées du doigt comme des éléments aggravants des tensions internes. « La direction semble plus préoccupée par l’accueil de VIP et la réputation de l’hôpital que par la gestion humaine et le soutien de ses équipes », conclut un employé dans l'enquête de Radio France.
Mal-être au travail et une souffrance silencieuse
Malgré les dispositifs mis en place par la direction, le tabou autour de la souffrance au travail resterait omniprésent à l’Hôpital Américain. De nombreux salariés, par peur de représailles ou de stigmatisation, préfèrent taire leurs difficultés. « On nous dit qu’il faut faire avec, que c’est normal dans un milieu aussi exigeant », confie un médecin à France Info. « Mais ce n’est pas normal de travailler dans de telles conditions, de se sentir constamment sous pression, sans soutien. »
Source:
Une enquête de la Cellule d'investigation de Radio France