L’école des femmes - Critique de « Sorry, baby » de Eva Victor

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Une jeune professeure de littérature anglaise invite régulièrement sa meilleure amie dans la maison qu'elles ont partagée autrefois, pendant leurs études, et qu'elle a conservée malgré un drame survenu il y a plusieurs années. Les saisons passant, ce lieu synonyme de prison va progressivement se charger d'espoir...

L’école des femmes - Critique de « Sorry, baby » de Eva Victor

Eva Victor et Naomi Ackie dans Sorry, Baby © Allo Ciné 

Un beau premier film qui, sous les atours d'un classicisme presque désuet, revisite intelligemment une histoire universelle et intemporelle.

Le petit chat n'est pas mort. Non, il est même plus vivant que jamais. En tout cas porteur de vie, porteur d'espoir, pour la jeune Agnes. Il est fort probable que la jeune actrice-réalisatrice surdouée Eva Victor n'ait pas eu un seul instant à l'esprit la comédie de Molière en tournant l'histoire de son homonyme, bien qu'elle n'eût probablement pas détesté que l'ombre de l'écrivain français plane sur son film. Tout comme Merlusse, splendeur pagnolesque qui ressort ce mois-ci, avait inspiré son Winter Break à Alexander Payne, il est indéniable que ce genre en soi, souvent doux-amer, toujours universitaire, rembourse une dette à ses ancêtres littéraires. C'est le premier point fort de ce film que de nous faire sentir comme à la maison, avec une confortable paire de chaussons, dans cette comédie humaine où les rayons de bibliothèque et les bureaux de professeurs passionnés renferment leurs lots de souffrances tues et de tourments secrets.

Mais #metoo est bel et bien passé par là, et à l'aura des professeurs convoquant les poètes disparus, Eva Victor préfère sonder les sacrifices imposés à ceux, et en l'occurence celles, qui les admirent. L'époque n'est plus aux vieux barbons qui gardent sous leur coupe les jeunes filles qu'ils éduquent pour mieux les conditionner et les posséder, mais si la geôle s'est modernisée, la mécanique de domination reste vivace. On ne dévoilera pas grand chose en révélant la nature traumatique de ce qui pousse Agnes à peu à peu se prostrer chez elle. On comprendra par contre mieux pourquoi certaines victimes de viol restent comme piégées dans le lieu du crime, là où tout les inciterait à fuir. Agnes confie en effet immédiatement à sa direction ce que son professeur lui a fait subir, mais ce dernier l'ayant devancée en quittant brutalement ses fonctions, c'est comme si le forfait ne pouvait plus être reconnu, l'affaire impossible à être conclue, laissant s'enfoncer la victime dans un marécage de non existence, sa vie sur pause, les autres évoluant autour d'elle.

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Autour d'elle, mais non pas sans elle. Le rythme est juste différent. Et c'est ce qui finit de rendre ce film si touchant, son obstination à nous présenter une trajectoire qui déjoue les clichés attendus. Sorry, baby soutient que la reconstruction est toujours possible, et présente, qu’il n’y a pas « une » façon de réagir ni d’évoluer, et que les hommes sont autant une cause du malheur que son issue. La confiance suffit parfois, et l'amitié à toute épreuve en est le meilleur terreau. Une amitié qui, parce qu'elle croit, protège.

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