Le nouvel appariement des internes : la grande odyssée de l'algorithme de Gale-Shapley

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À la simplicité biblique de l’ancien système de choix des spécialités et CHU par les futurs internes s’est substituée une procédure d’appariement reposant sur un algorithme et 13 classements séparés. Reste à savoir si cette complexification apporte plus de justice… Exploration d’une terra incognita algorithmique.

Le nouvel appariement des internes : la grande odyssée de l'algorithme de Gale-Shapley

« Usine à gaz. » L’expression a si souvent été utilisée dans la presse qu’on hésite aujourd'hui à y recourir. Mais force est de reconnaître qu’elle s’impose pour qualifier le système qui, depuis 2024, permet aux nouveaux internes de choisir la spécialité qu’ils vont exercer et la ville dans laquelle ils vont l’apprendre. Une procédure si complexe qu’on se prend presque à regretter l’ambiance épique des anciens amphis de garnison d’avant l’ère d’internet… ou à pleurer sur le sort de la défunte application Céline, qui jusqu’en 2023 permettait aux lauréats des ECN de faire leurs choix en ligne selon le bon vieux principe du « premier arrivé, premier servi ». Mais rien ne sert, comme le disait le général de Gaulle, de regretter « la douceur des lampes à huile » ; l’essentiel est de comprendre le nouveau parcours des médecins en devenir.

Ceux-ci ne seront donc plus classés selon un, mais selon 13 classements, chacun valant pour un groupe de spécialités : médecine de l’aigu (urgences, anesthésie-réanimation…), chirurgie tête et cou (ophtalmo, ORL, etc.), autres chirurgies, etc. Pour aboutir à ces 13 classements, deux types de questions ont été créés pour les EDN : les items de rang A, qui sont à connaître par tous les candidats, et les items de rang B, qui quant à eux sont surpondérés dans le classement du groupe de spécialités dont ils relèvent. « On peut supposer que l’étudiant qui souhaite être chirurgien va mieux réussir les items qui se rapportent à la chirurgie, et son classement dans ce groupe s’en trouvera amélioré », explique le Pr Benoît Veber, président de la Conférence des doyens de Faculté de médecine.

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Le but de l’opération, on s’en doute, n’est pas de compliquer la vie des aspirants internes, mais bien au contraire d’améliorer leur sort. « L’idée est de favoriser les choix positifs », décrypte l’anesthésiste-réanimateur et doyen rouennais. En d’autres termes, l’hypothèse sous-jacente est que l’ancien système, trop uniforme, poussait nombre d’étudiants à faire des choix par défaut. Le nouveau système, lui, inciterait les étudiants à s’investir davantage dans les domaines qui les intéressent. « Cela n’a pas vraiment changé la donne, tempère Lucas Poittevin, président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). On ne révise pas une connaissance différemment selon son rang. »

 40 vœux…

Reste qu’au-delà de cette divergence de vues, somme toute habituelle entre doyens et étudiants, il faut transformer les notes reçues par les étudiants dans chacun des 13 classements en choix de spécialité et de lieu de formation : le fameux appariement. Pour cela, les étudiants font des vœux de poste (plusieurs dizaines), vœux qu’ils doivent hiérarchiser par ordre de préférence : anesthésie-réanimation à Grenoble en numéro 1, médecine d’urgence à Lyon en numéro 2, etc. Le Centre national de gestion (CNG) utilise ensuite l’algorithme dit de Gale-Shapley qui, assure Benoît Veber, « garantit à chacun la meilleure solution possible ».

Cet algorithme dont, souligne le doyen des doyens, l’un des inventeurs a par la suite reçu le prix Nobel d’économie, a selon lui tous les avantages. « C’est très robuste, et contrairement à l’amphi de garnison ou à l’ancienne procédure, vous ne risquez pas de faire un mauvais choix sous l’influence de la panique parce que le poste que vous désiriez a été pris cinq places avant vous », estime-t-il. 

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Côté étudiant, on témoigne de la même confiance dans l’algorithme, mais on estime que son utilisation est susceptible d’amélioration. Car lors de la procédure qui a été menée l’année dernière, on a constaté d’importantes disparités entre les différents tours de simulation menés en amont de l’appariement.

« Il y a des étudiants qui tentent différentes combinaisons, et par définition cela bouleverse le classement à chaque fois, reconnaît Benoît Veber. Les tours à blanc n’ont pas été prédictifs, ce qui a fait grincer quelques dents. » Certains ont même parlé de bug, ce qui semble exagéré. Pour tenter de résoudre cet inconvénient, un consensus se dégage ente doyens et étudiants : réduire le nombre de tours de simulation. Par ailleurs, l’information donnée aux étudiants pourrait être plus complète. « À chaque tour, on vous dit si vous avez obtenu tel ou tel vœu, mais on ne vous dit pas si vous l’avez parce que vous étiez 50e sur 51, ou si vous ne l’avez pas parce que vous étiez 150e alors qu’il n’y avait que cinq places », regrette Lucas Poittevin.

Un processus en voie d’amélioration

Une fois l’appariement effectué, un petit nombre d’étudiants restent sans affectation, et un deuxième tour est organisé pour eux avec les postes restants. « Cela a concerné moins d’une vingtaine d’étudiants l’année dernière, et c’est pour éviter d’avoir à participer à ce deuxième tour qu’il faut faire un nombre important de vœux », souligne Lucas Poittevin. Mais ce dernier ose espérer qu’avec le temps, la compréhension de la réforme va s’améliorer parmi les étudiants, ce qui devrait fluidifier les choses. « C’est comme avec le PASS et la LAS, juge le président de l’ANEMF. Cela fait quatre ans que nous les expliquons et il y a encore beaucoup de choses qui ne sont pas comprises, mais moins qu’au début. »

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Néanmoins une question reste en suspens, pour laquelle on ne dispose pas encore de réponse : l’algorithme de Gale-Shapley, tout nobélisé qu’il soit, ne prend pour l’instant pas en compte les préférences des couples d’étudiants. « Avec le système précédent, on pouvait se déclasser et attendre que l’autre ait choisi, explique Lucas Poittevin. Désormais, on ne peut plus utiliser cette méthode. » Un souci que reconnaît Benoît Veber. « Ce sont des situations qu’on a essayé de résoudre l’année dernière au cas par cas, en considérant qu’il pouvait s’agir d’un motif réel et sérieux pour demander un changement de division, mais il serait préférable qu’à terme cela soit pris en compte dans l’algorithme », souhaite le doyen. Reste à savoir si l’amour se laissera facilement mettre en équation…

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