Journal intime de l’externe : l’hôpital dans ta gueule

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« Tout ce que j’écris s’est vraiment passé »

Journal intime de l’externe : l’hôpital dans ta gueule

Difficile de tomber sur le Journal intime de l’externe sans y laisser son après-midi, et quelques larmes de rire. Sur sa page Facebook (bientôt 7000 likes), l’Externe* relate son expérience à l’AP-HP avec une verve toute carabine (voir encadré). Séduit par ce journal à la drôlerie percutante, What’s up Doc a souhaité en savoir plus sur son auteur.

 

What’s up Doc. L’Externe, qui êtes-vous ? 

L’Externe. J’ai 30 ans et j’ai passé les ECN cet été, donc je vais devenir interne en novembre. Je suis né à Paris mais j’ai grandi à Montréal, avant de rentrer dans l’Oise en terminale… Avant la médecine, j’ai fait une école d’ingénieur et un master d’ingénierie biomédicale, où j’ai côtoyé pas mal de médecins et d’étudiants en médecine. J’étais curieux et attiré par ce milieu, alors je me suis dit que ce serait pas mal de mixer les deux casquettes.

WUD. Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire ? 

E. En médecine, je me suis retrouvé avec des gens de quatre ans de moins que moi. À 21 ans, sans s’en rendre compte, ils avaient déjà des responsabilités et vivaient des choses très fortes. L’hôpital est très intense, en bien ou en mal. J’y ai rencontré des personnalités incroyables, qui m’ont beaucoup inspiré. Et en tant qu’externes, on voit l’envers du décor et on fait beaucoup de choses, parfois dégradantes. J’avais besoin de faire découvrir ce quotidien. Au début, c’était juste pour faire rire mes amis. 

WUD. Vous décrivez un monde impitoyable, avec des mandarins brillants mais tyranniques, des internes qui se font démolir...

E. Il faut savoir que tout ce que j’écris s’est vraiment passé, ce n’est pas de la fiction. En tant qu’externe, on rencontre des infirmières qui vous bizutent, des PU-PH qui vous torturent, des internes qui ont passé un mauvais externat et décident de le répercuter sur vous… Mais vous avez aussi l’envers du décor, avec des gens absolument incroyables qui vous font adorer la médecine. Je préfère me moquer de moi-même, pour mieux me moquer de tout le monde. C’est peut-être un peu vicieux (rires). 

WUD. Quel est le personnage le plus marquant que vous ayez rencontré ?

E. Ce serait le chef de service d’urologie, celui que j'appelle l’Empereur d’urologie. C’était quelqu’un d’exubérant, avec une culture incroyable. Il était passionné par l’art et la littérature, pouvait vous parler de tous les tableaux de son service. Et puis il avait un style incomparable. Il pouvait vous faire des blagues pendant une heure. Vous vous dites « cet homme n’est pas sérieux », mais en fait il photographie tout ce qu’il voit sur soixante patients dans la matinée.

WUD. Un autre exemple ?

E. Il y a le PU-PH de chirurgie digestive dont je parle dans l’épisode 4, qui détruit l’interne pour sa première garde. C’est typiquement le professeur hyper sympa, qui va vous dire « Viens on va manger ensemble, tout va bien se passer ». Mais quand il met un pied au bloc, il se transforme en Terminator ! Et ça on ne s’y attend pas : on a vraiment peur. L’interne m’en a reparlé un an plus tard : il s’en souviendra toute sa vie.

WUD. Même si l’hôpital que vous décrivez ressemble à une nef des fous, on a l’impression que vous l’aimez profondément. 

E. La question c’est : êtes-vous masochiste ? (Rires.) C’est vrai que je le dépeins comme ça, et il l’est un peu. Lorsque vous êtes interne, vous avez au-dessus de vous le CCA, le PH, les PU, le chef de service, la direction de l’hôpital... C’est une hiérarchie infinie, surtout à l’AP. Il faut avoir un minimum de passion et de sociabilité pour tenir dans ce milieu. J’accepte les règles du jeu de l’hôpital et ça ne m’a jamais empêché de prendre du plaisir. Il y a des moments durs, bien sûr : certains font des sports extrêmes pour les évacuer, moi je les écris.

WUD. À ce propos, votre pire moment de solitude ? 

E. Quand je me suis fait démolir par un PH de rhumato. Il m’a demandé de décrire une radio de rachis lombaire d’une patiente que je n’avais pas vue. Je ne m’y attendais pas du tout, j’ai bloqué. Il m’a atomisé pendant six minutes chrono devant la chef de clinique, l’interne, la co-externe… Après, il a commencé l’examen clinique en manipulant la hanche de la patiente, m’a regardé dans les yeux et m’a demandé : rotation interne ou externe ? C’était une question très basique : je pense que j’étais descendu très bas dans son estime. (Rires.)

WUD. Vous allez continuer à écrire pendant l'internat ? 

E. J’y réfléchis mais si je le fais, je ne pense pas utiliser le même support. Je suis en train d’écrire un roman policier, dont le personnage principal est un interne. Ce ne sera pas le même sujet, d’autant que le livre est destiné au grand public, mais ça me permet de garder un registre humoristique à l’hôpital, tout en ajoutant une dimension policière et scientifique. Ce sera ça, mon « Journal intime de l’interne ».

 

* Pour des raisons mystérieuses, l’Externe tient à conserver son anonymat.

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Dans une galaxie pas très lointaine....

Avec un sens affûté de la caricature, l’Externe brosse un portrait savoureux des habitants de la galaxie AP-HP. Dans ce space opera tout de blanc vêtu, les internes sont des stormtroopers et les PH des maîtres Jedi. Tout en bas de la hiérarchie figure l’externe, ou Jar-Jar Binks : créature dispensable, à la maladresse proverbiale, il est balloté au gré d’événements qu’il ne maîtrise en rien. Quant au patron, l’Empereur, son ombre plane sur tout le service. Gare à qui suscite son courroux... 

Le Journal intime de l’externe devrait bientôt accueillir trois nouveaux épisodes : il y sera question de cardio, d’infectio et de néphro. Une dernière trilogie pour les fans.

Source:

Propos recueillis par Yvan Pandelé

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