Frère patrie

Article Article

Critique de "Pour la France", de Rachid Hami (sortie le 8 février 2023)

Frère patrie

Un jeune saint-cyrien perd la vie au cours d'un "bahutage", détournement euphémisant des bizutages officiellement proscrits. Aïssa avait pour particularité d'être né en Algérie et d'avoir suivi, avec son frère Ismaël, leur mère fuyant le terrorisme. Au cours de son processus de deuil, Ismaël va prendre conscience de la complexité des enjeux autour de la mort, mais surtout du destin de ce frère aimé de façon si tourmentée. Une démarche autobiographique, voire autothérapeutique, mêlant hommage et introspection, sobre et poignante. Un geste suffisamment rare pour être salué. 

C'est une histoire autobiographique, dont on émettra l'hypothèse qu'elle l'est totalement si l'on veut en comprendre la force. Rachid Hami avait effectivement beaucoup à perdre à se plonger ainsi frontalement dans cette part de sa vie si douloureuse, mais également si emblématique. Un drame saisissant, mais dont il fallait justement suffisamment se dessaisir pour en tirer un geste cinématographique lisible, décent. Pour la France est plus que cela : c'est une oeuvre complexe aux intentions limpides. Une oeuvre qui atteint sa cible : celle de nous faire comprendre et ressentir, tout autant le tragique du destin de ce frère trop tôt et si absurdement disparu, que le chemin parcouru par le cinéaste depuis, le portrait de son alter ego n'occultant nullement l'ambiguïté de leur relation, marquée du sceau de la rivalité par un père despote ayant pris soin de diviser cette fratrie pour mieux régner sur leur devenir. 

Le récit est double, à la fois évocation de souvenirs autour de la figure du disparu et description des ambiguïtés entourant cette mort, sa gestion par l'armée, sans que jamais il ne s'engage vers les deux dangers qui le guettaient, l'hagiographie lacrymale d'une part, le film à thèse de l'autre. Plus intéressant, Hami semble avoir pris soin de nuancer ces deux aspects, la dimension personnelle et celle, dirons-nous, plus sociétale, au point d'insuffler en chaque segment ce que l'on aurait pu s'attendre à retrouver dans l'autre. Ainsi s'attarde-t-il plus volontiers, dans son portrait d'une armée plus soucieuse de protéger l'apparence de son honneur que ses propres hommes, sur la figure d'un capitaine marqué par la mort de son enfant et comprenant peu à peu cette famille qu'il accompagne dans une communauté de douleur et de dignité. Quant au segment familial, il n'épargne aucun de ces deux frères tout en prenant soin d'éclairer d'emblée à quel point il manquait à chacun, et à ce moment de leur vie, les clés pour se délivrer d'une forme d'emprise paternelle. Le fait que cela n'ait pu survenir que suite à la mort de l'un des deux ne rend cette dimension que plus terrible.

Pour la France est ainsi l'histoire d'un enfant arraché à son pays et à son père et qui, mû par une admiration filiale basée sur un mythe que sa famille, pensant le protéger, a entretenu, s'est enrôlé au sein de son pays d'adoption et qui, pensant s'accomplir, s'est dirigé vers sa perte. Ce sous-texte implacable est embrassé pleinement par Rachid Hami, qui ne s'exonère nullement de sa part de sa responsabilité et qui, pour parachever cette déclaration d'amour envers son frère, choisit de les réconcilier dans une dernière séquence dont il importe finalement peu qu'elle ait eu lieu ou non : sur l'écran, et dans son coeur, elle existe aujourd'hui. 

Les gros dossiers

+ De gros dossiers