François Pelen veut faire du médecin un entrepreneur (médical)

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Dans un récent livre*, s'inspirant de sa propre expérience d'entrepreneur et de fondateur des centres d'ophtalmologie Point Vision, le Dr François Pelen veut métamorphoser le médecin en entrepreneur médical. Il nous dit comment, au cours de cette interview. 

François Pelen veut faire du médecin un entrepreneur (médical)

What's Up Doc. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire ce livre à ce moment précis de l’histoire médicale et sanitaire en France ? 

Dr François Pelen. J’ai été frappé de constater que lors des deux grandes crises sanitaires qu’a vécu la France ces 15 dernières années, le H1N1en 2009 sous Roselyne Bachelot et actuellement avec le Sarscov2 sous Olivier Véran, et bien la médecine de ville avait été relativement marginalisée. Je me suis posé la question de savoir pourquoi : je me suis rendu compte tout simplement que les médecins de ville sont tellement éparpillés qu’il est très difficile, par exemple, pour les  ARS, d’organiser une réunion dans les 15 jours. Il faut donc, en médecine de ville, installer des centres plus grands, pour que les médecins soient mobilisables à tout instant. Si je prends en exemple "point vision", mon entreprise, nous sommes présents dans tous les territoires et nous pouvons donc intervenir dans toutes les régions. Et il faut que la médecine de ville, qui doit rester libéral, se rende compte qu’on ne peut plus exercer la médecine comme on le faisait avant, tout seul dans son coin. Actuellement la médecine a fait un bon technologique, il y a de l’intelligence artificielle,  il y a de la télémédecine, il y a de la technologie, si bien qu’un médecin doit avoir des techniciens, et doit donc être entouré de personnel. Le médecin doit donc diriger une équipe et devenir entrepreneur.

WUD. N’avez-vous pas l’impression qu’avec la promotion des maisons de santé, des pôles de santé, des centres de santé, le regroupement est déjà d’actualité dans la pratique médicale ?

Dr F. P. Je ne pense pas, tout simplement parce que qui dit médecine libérale dit médecine qui s’auto-finance. Or, les expérimentations actuellement menées sont largement subventionnées. Si on veut que la médecine libérale perdure il faut qu’elle puisse se prendre en charge toute seule. 

WUD. Vous voulez aussi que les patients experts soient mieux pris en considération. De quelle manière ?

Dr F. P. Il ne vous a pas échappé que depuis une quarantaine d’années, une nouvelle révolution a surgi, c’est l’Internet. Or, il se trouve que maintenant, les patients sont à même de trouver de l’information médicale sur Internet. Nous ne sommes plus au temps du Larousse médical. Il faut considérer également qu’il y a à peu près 40 000 associations de patients en France, donc cela veut dire qu’ils ont quand même à cœur de vouloir s’exprimer. Le patient expert est une notion que j’ai expérimentée justement lorsque j’étais vice-président de Pfizer. Vous prenez 100 patients experts d’une pathologie, le résultat de ces 100 expertises aura beaucoup plus de valeur que le résultat de l’expertise d’un professeur de cette pathologie. Si vous prenez un patient ce n’est évidemment pas le cas.  En considérant une pluralité de patients, vous arrivez à une véritable expertise qui aura plus de valeur que celle d’un expert de cette pathologie. Par ailleurs, je me suis rendu compte que pour apprendre à un médecin à appréhender une pathologie, il n’y a rien de mieux que de le mettre en contact avec un patient atteint de cette pathologie qui va lui lui apprendre.  

WUD. Vous vantez également la télémédecine. On s’est rendu compte qu’avec la Covid 19 la télémédecine avait fait un bond en avant. Que faudrait-il pour encore l’améliorer ?

Dr F. P. Dans la télémédecine il y a beaucoup de choses. La téléconsultation est par exemple une conférence de base entre un patient et un médecin. C’est assez facile à mettre en place. En ophtalmologie par exemple, on ne peut pas tout faire à distance. En revanche on peut très bien imaginer qu’il existe des postes avancés, où les machines sont présentes, manipulées par un technicien qui va faire tous les examens. Ensuite le patient prendra un rendez-vous avec l’ophtalmologue lors d’une téléconsultation équipé de tous ces examens. Dans cette configuration là, pour que cela marche, il faut que les machines soient de grande qualité. En installant des postes avancés très techniques dans des déserts médicaux, à ce moment-là on règle aussi le problème des déserts médicaux. Bien sûr, pour la médecine générale, il peut toujours y avoir besoin d’une proximité pour les cas d’urgence. 

WUD. Quid des paramédicaux ?

Dr F. P. En effet, je préconise la création d’entreprise médicale composée à la fois de médecins, qui feront de la médecine, et de paramédicaux qui feront de la technique.

WUD. Dans votre livre vous prenez souvent exemple sur votre entreprise Point Vision. Quel est le bilan que vous tirez de la création de votre entreprise ?

Dr F. P. Quand je m’occupais de marketing client dans un grand laboratoire pharmaceutique, on me racontait sans arrêt qu’il y avait des problèmes d’accès à l’ophtalmologie. Or, je voyais bien qu’il y avait des solutions. La solution est très simple : plutôt qu’un médecin fasse à la fois un tiers de technique, un tiers d’administratif, et un tiers de médecine, il vaut mieux qu’il fasse à 100 % de médecine. J’ai donc pensé à une entreprise médicale ou tout l’administratif serait fait par des personnels administratifs, le technique serait fait par des paramédicaux, et le médecin pourrait faire ainsi 90% de médecine. Je tiens tout de même à rappeler que mon idée vient des besoins des patients, et non de la facilitation du travail de l’ophtalmologue. Nous avons donc ouvert un premier centre qui a répondu aux attentes, puis nous en avons ouvert un deuxième, et maintenant nous avons 40 centres qui couvrent l’ensemble du territoire. Avec 40 centres, 300 ophtalmo, 900 personnels, nous pouvons prendre en charge en 2019 1 200 000 patients. 

WUD. Ce qui est étonnant dans votre expérience est que vous avez appliqué les recettes tel qu’on les préconise depuis des années : regroupement médical, intelligence artificielle, télémédecine, accès aux paramédicaux, expert patient, mais vous les avez appliquées à la lettre pour créer une entreprise florissante. Qu’en pensez-vous ?

Dr F. P.  Et bien j’attends que l’on m’imite. Je pense que cela peut être fait dans d’autres spécialités, je crois qu’il y a des modèles identiques au mien qui ont commencé à tourner en médecine générale, comme ipso santé. Je serai ravi que cela se développe, et si j’ai écrit un livre, c’est justement pour faire connaître mes idées, et montrer aux patients et aux médecins qu’il y a des solutions pour résoudre les problèmes actuels, et que ces solutions ne passaient pas forcément par une dégradation de la qualité des soins ; je vois passer des rapports de la Cour des Comptes, où l’on préconise de passer la main à des paramédicaux mais sans s’assurer que l’on aurait la même qualité de prise en charge. 
Autre chose : quand vous développez un réseau, vous êtes obligés de développer la qualité. Nous avons signé des protocoles organisationnels entre les orthoptistes et les ophtalmo dans nos réseaux, nous avons mis en place avec le bureau veritas une certification de ses protocoles observationnels. Nous sommes soumis à des audits indépendants, pour s’assurer que la qualité telle qu’elle est écrit sur le papier et bien observée dans la réalité. Tous nos centres sont ainsi iso 9001. 

WUD. Pourquoi restez-vous arc-bouté sur le principe du paiement à l’acte ? 

Dr F. P. Parce que je suis favorable à la médecine libérale, je ne suis pas pour une médecine fondée sur des objectifs fixés par une administration, avec des revenus accordés selon les objectifs fixés par cette administration. Pour moi le médecin libéral est quelqu’un qui s’assume. La rémunération au forfait conduit de manière insidieuse au salariat. 

WUD. Pensez-vous malgré tout que l’on puisse améliorer le paiement à l’acte ?

Dr F. P. Je ne peux pas me satisfaire d’un paiement à l’acte dont les montants n’ont pas été revalorisés depuis plusieurs années. Ne pas réévaluer des actes peut pousser à une baisse de la qualité pour augmenter la productivité.

* François Pelen. Crise sanitaire : pourquoi il faut presque tout changer. Le cherche midi. 

 

 

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