Film en Kit

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Critique de "Ma vie avec John F. Donovan", de Xavier Dolan (sortie le 13 mars 2019)

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Le destin croisé de John, idole des ados tentant de cacher son homosexualité pour préserver sa gloire, et d'un de ses jeunes fans de 11 ans rêvant de devenir acteur. Une impossible rencontre qui symbolise deux époques radicalement différentes, mais aussi un hommage à celle sans laquelle l'autre n'eût pu émerger. Quel dommage qu'à partir de ce thème éminemment romanesque Xavier Dolan ait choisi de rester dans l'anecdotique. Avec au final un montage tellement maladroit qu'on se demande si ce semi-sabotage en terrain inconnu n'était pas inconsciemment délibéré. En tout cas inéluctable...

Pour nous, le verdict est sans appel. Sévère mais s'efforçant d'être juste. Parce que l'on a été si fortement impressionné par des films tels que Mommy ou Juste la fin du monde, mais aussi parce que cette vie de John F. Donovan succédait à ces deux chefs-d'œuvre, on voulait croire au miracle d'un film qui réussirait à enrayer la malédiction d'un tournage et d'une production dont Dolan avait lui-même fait la publicité. Eh bien non, le miracle n'a pas eu lieu. Ma vie avec John F. Donovan est un film raté. S'il possède des qualités indéniables, il est totalement dépourvu de certaines, pourtant essentielles: la cohérence - ou plutôt la cohésivité - et la pertinence. Même l'originalité de la mise en scène manque au rendez-vous, Dolan recyclant des éléments de la plupart de ses anciens films, mais constamment au désavantage du dernier. 

Ainsi, la visite de John à sa tribu caricaturalement yankee rappelle-t-elle plus que fortement la traumatisante réunion de famille de Juste la fin du monde, jusque dans les détails culinaires - adaptés au terroir de chacun. Et pourtant, là où Nathalie Baye et Vincent Cassel noyaient leur incapacité à communiquer sous un flot de paroles dont l'apparente simplicité ajoutait à la violence de la situation, le jeu et les mots de Susan Sarandon apparaissent singulièrement affadis, voire plaqués. De même, l'interview à partir de laquelle le film est construit est-elle une reprise du dispositif dont Dolan avait déjà usé dans Laurence Anyways. Interview menée de main de maître par Thandie Newton mais dont la teneur manque souvent d'intérêt. La fragilité des dialogues, tout comme les facilités de mise en scène, constituent un écho cruel au manque de souffle global de l'œuvre, construite sur une trame qui brasse des thèmes intéressants mais qui reste embourbée dans la banalité. On est d'ailleurs en droit de considérer que cette absence de rencontre entre John et celui qui, en quelque sorte, reprendra son flambeau pour aller au bout de sa destinée, nous importe peu. En tout cas elle ne sert pas son sujet, comme en témoigne la grotesque scène centrale du film, à laquelle on ne croit pas du tout. C'est tout autant au crash de Dolan qu'à celui de Donovan auquel on assiste, quelque peu gêné et vaguement médusé.

C'est peut-être cet échec à aller au bout d'un projet que l'on sait pourtant plus personnel qu'à l'accoutumée qui rend le film de Dolan intrigant. Intéressant dans son ratage même. Comme si, en se penchant pour la première fois sur son enfance - J'ai tué ma mère était pleinement adolescent - le jeune prodige s'était senti paralysé. L'incursion en territoire américain n'a certes pas dû contribuer à lui assurer une stabilité et une maîtrise suffisantes. Mais cela va au-delà, nous semble-t-il, des choix de montage, des coupes confinant au dépecage d'un film-fleuve que l'on savait ambitieux dès sa genèse: cette difficulté à être en empathie avec ce gamin tête à claques, cette figure de jeune mère paumée, nouvelle dans le panthéon dolanesque, désespérément floue et dont Natalie Portman semble avoir été incapable de se saisir, mais surtout ce refus d'aller au cœur du sujet - on ne sait au final absolument rien de la teneur de cette correspondance censée donner corps à l'ensemble de l'œuvre - en sont les principaux symptômes. Et quand, lors de la dernière scène du film, nous voyons un Rupert plein d'assurance partir en route pour sa destinée, nous sommes enfin reconnectés à la puissance qui fait la particularité des épilogues du réalisateur, ne pouvant nous empêcher de nous dire que c'est probablement à ce moment-là qu'il aurait dû commencer...

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