La période que nous vivons est marquée par l’éclosion de comités de pilotage « green » dans les hôpitaux. Laurent Zieleskiewicz, coordinateur médical de celui de l’AP-HM, affirme qu’« en tant que soignant on doit faire intervenir ces menaces dans notre analyse bénéfices/risques des soins procurés aux patients. »
« Le jour où les soignants auront conscience de ce problème ils trouveront des solutions grâce à la formation. Le levier, c’est la formation. »
Les enjeux planétaires en formation initiale : où en est-on en 2024 ?
Le Shift Project par exemple a créé un groupe de travail, « Pédagogie et Formation », ayant pour objectif de fournir une analyse quantitative et qualitative de la formation des étudiants en santé à l’échelle nationale. Son constat est alarmant, mettant en lumière une inadéquation entre la demande des étudiants et une offre de cours insuffisante. En effet, 84 % des 3 384 étudiants en santé interrogés pensent que les enjeux du changement climatique devraient être enseignés durant leur cursus. Pourtant, seulement un tiers des 193 établissements recensés proposent un cours sur les enjeux environnementaux, et ceux-ci représentent en moyenne 0,4 % de la formation totale.
Ce contraste entre la demande et une offre peu développée a été le moteur de l’ambition de Marine Sarfati, cheffe de clinique en rhumatologie. Elle a créé récemment un module pédagogique numérique national, hébergé sur la plateforme UNESS/SIDES, portant sur l’approche One Health et les intrications entre l’environnement et la santé humaine. Le format est d’une vingtaine de vidéos présentées par des experts scientifiques de grande renommée, tel Jean-Marc Jancovici, afin de « montrer l’importance d’une évolution de la vision anthropo-centrée du système de santé actuel vers une vision plus globale, où la santé humaine serait intégrée à l’environnement animal, et plus généralement à l’écosystème planétaire »1. Ce programme, déjà en cours dans de nombreuses universités, s’adresse aux étudiants de deuxième cycle et leur est obligatoire.
Le troisième cycle n’est pas pour autant délaissé avec un module plus spécifique, sur l’éco-conception des soins en tant que soignant. On définit par éco-conception le fait de soigner avec un moins grand impact environnemental sans dégrader la qualité du soin en lui-même. Ce module, créé par Laurent Zieleskiewicz, prend la forme d’un ETU (Enseignement Transversal Universel), avec pour vocation d’être approprié par les collèges nationaux de chaque spécialité, pour création de sous-modules.
Jamais trop vieux pour se former à des soins plus éco-responsables
Certains soignants, reprochant le manque d’approche systémique de la santé dans leur formation, ont vocation à changer les choses en ré-orientant totalement leur activité professionnelle. C’est par exemple le cas d’Alice Barras, chirurgien-dentiste, qui, après 15 ans d’exercice au fauteuil, a souhaité se spécialiser dans la sensibilisation et la formation des professionnels de santé à la démarche écoresponsable.
Alice s’est tout d’abord formée à travers plusieurs D(I)U, dont un de Management de Développement durable en santé, et un autre de Médecine environnementale. Aujourd’hui, elle travaille sur plusieurs projets avec des URPS de toutes les disciplines de santé, que ça soit sur des supports de communication, ou pour accompagner l’évolution des recommandations professionnelles. Il s’agit de gérer l’intégration de l’éco responsabilité dans les recommandations professionnelles puis d’en faire une validation par les CPIAS² « pour ne pas faire n’importe quoi dans un cabinet de soins, pour gérer le risque infectieux dans nos pratiques, en évitant les fausses bonnes idées ». L’objectif pour le professionnel : « À chaque étape du soin comment je fais pour réduire mon impact tout en respectant les recommandations professionnelles. »
Ces recommandations, elles évoluent en effet, grâce à des initiatives de nos sociétés savantes !
Last but not least, la question du numérique : à privilégier ou pas ?
Le distanciel - ayant pris le pas sur le présentiel depuis 2020, du fait des conditions sanitaires - reste très actuel, avec comme arguments la réduction des émissions carbone par la limitation des déplacements. Et pourtant, l’impact environnemental du numérique vient nuancer cet argumentaire. Laurie Marrault dans sa conférence, ‘’le bluff du numérique’’ sur Libération nous avertit sur son ambivalence : « Le numérique ne dématérialise pas, il rematérialise autrement ». Pour se faire, il puise dans les ressources, et utilise beaucoup d’énergie pour pouvoir produire cette nouvelle matérialité. « L’impact environnemental du numérique, c’est 3,5 % des émissions mondiales, soit une fois la flotte mondiale de camions et deux fois celle des avions, et 50 millions de déchets dont les ¾ ne seront jamais recyclés ».
https://www.calameo.com/whatsupdoc-lemag/read/00584615447976f93c3b9
La prévention en sacerdoce, les co-bénéfices comme avantages
Face à l’urgence climatique, réelle et déjà trop avancée dans ses mécanismes, une formation aguerrie des soignants sur les enjeux de la transformation sociale et écologique est nécessaire. Elle est actuellement balbutiante. Le lien entre santé et environnement doit devenir une priorité des programmes de santé. Comme le dit Alice Baras : « c’est aux soignants de donner aux patients les messages de prévention selon lesquels prendre soin de l’environnement, c’est aussi prendre soin de leur santé et de celle de leurs proches. C’est ce qu’on appelle les co-bénéfices. »
Que ce soit en tant qu’étudiant en médecine ou professionnel de soins, nous devons nous sentir légitime de ce rôle d’acteur et d’ambassadeur dans la sensibilisation auprès des populations, et intégrer l’éco-responsabilité comme une démarche de santé. En somme, être sensibilisé afin de sensibiliser à notre tour, dans une boucle vert(ueus)e !
Notes
¹ Citation de la mise en place du programme Module Pédagogique numérique « Médecine et Santé Environnementale » avec la Conférence des Doyens des Facultés de Médecine de France
² CPIAS : Centre d'appui pour la Prévention des Infections Associées aux Soins. Ces centres contribuent à l’élaboration et à l’application de la stratégie nationale et régionale de prévention des infections associées aux soins et de maîtrise de la résistance aux anti-infectieux.