Décès de Naomi Musenga : les conditions de travail des opérateurs au SAMU en question

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"C'est un océan de demandes et il faut savoir distinguer la difficulté" : au procès de l'opératrice qui avait raillé fin 2017 au téléphone Naomi Musenga, jeune femme décédée peu après à l'hôpital de Strasbourg, l'ex-responsable du Samu a apporté jeudi un témoignage éclairant sur les conditions d'exercice des assistants de régulation médicale.

Décès de Naomi Musenga : les conditions de travail des opérateurs au SAMU en question

© Midjourney x What's up Doc 

Mise à jour du 5 juillet : 

Le tribunal est allé au-delà des réquisitions du parquet, qui avait demandé 10 mois avec sursis.

"Il me semble que jamais, jusqu'à aujourd'hui, une opératrice du Samu n'avait été condamnée devant un tribunal correctionnel", a aussi réagi leur avocat, Jean-Christophe Coubris, soulignant la "décision équilibrée" du tribunal.

"Je ne peux pas vous aider parce que je ne sais pas ce que vous avez", a-t-elle cité  de l'enregistrement de la conversation entre la jeune femme souffrante et l'opératrice. "Cette phrase fait froid dans le dos", a souligné la procureure. "C'était l'essence même de sa mission que de poser les questions aux appelants."

L'opératrice du SAMU a été reconnue coupable et est condamnée à un an de prison avec sursis.

 

"On est partagé entre un échec patent, un immense regret pour la famille, et une compréhension pour nos opérateurs qui travaillent dans des conditions très difficiles". C'est par ces mots qu'Hervé Delplancq, anesthésiste réanimateur et responsable du Samu à l'époque, entame son exposé à la barre du tribunal de Strasbourg.

Ses propos expriment à la fois un sentiment de culpabilité et l'impression que, face aux conditions de travail des personnes chargées de répondre au téléphone pour traiter des urgences vitales ou inexistantes, il était impossible qu'aucune erreur ne soit commise. Il avait démissionné de ses fonctions peu de temps après les faits.

Dans le "flot incessant d'appels", les douleurs abdominales, celles-là mêmes dont se plaignait Naomi Musenga, 22 ans, lorsqu'elle avait appelé les secours, constituent "un piège", explique le médecin, car il est "extrêmement difficile de faire la part des choses entre quelque chose de grave et quelque chose de banal".

Pour établir des distinctions entre les cas, "ça suppose d'autres questions, évidemment : où ? comment ? quelle intensité ?", détaille-t-il, en réponse à Isabelle Karolak, la présidente, qui l'interroge.

Peu de temps auparavant, la juge a mis en évidence que l'opératrice, Corinne M., poursuivie pour "non-assistance en personne en danger", n'avait quasiment posé aucune question à la jeune femme en détresse qui peinait à s'exprimer, raccrochant sans prendre la peine de l'orienter vers un médecin régulateur.

Le rythme de travail des régulateurs mis en cause

Face à ce manquement qui semble manifeste, le docteur Delplancq pointe cependant un "biais cognitif évident".

"L'appel passé à notre opératrice est dédramatisé par le premier intervenant", une opératrice des pompiers qui avait échangé avec Naomi Musenga avant de la transférer vers le Samu, sans prendre la peine, elle non plus, de déclencher une équipe de secours.

L'enregistrement de la conversation entre les deux opératrices, diffusé à l'audience, laisse effectivement entendre que la demande de Naomi Musenga n'est pas prise au sérieux par l'agent des pompiers.

"On comprend que ce n'est pas si grave, et je pense que (Corinne M.) s'est fait piéger : elle est dans un biais de confirmation, une autre professionnelle a analysé l'appel, et elle reste sur la même ligne", poursuit Hervé Delplancq. "Bien sûr, il faudrait savoir revenir en arrière, mais les biais sont inconscients. Tout le monde, tous les jours, est soumis à ces biais."

Il revient également sur le rythme de travail des assistants de régulation médicale, soumis à des journées de 12 heures.

"Je pense que c'est trop. Vous êtes dans le tambour de la machine à laver. Vous aimeriez bien que quelqu'un appuie sur le bouton pour que ça s'arrête, mais ça ne s'arrête pas", image-t-il, déconseillant "à tout jeune régulateur de faire ce métier sur toute sa carrière".

Il ne minore pas néanmoins certaines défaillances. Les éléments d'identité de la patiente n'ont pas été relevés ? "Ça n'est pas la pratique recommandée", affirme-t-il. La conversation, courte et terminée précocement ? "La réponse n'était pas à la hauteur de ce qu'on pouvait attendre", admet-il.

« Poursuivre notre route »

C'est lui qui avait transmis à la famille de Naomi Musenga l'enregistrement de sa conversation avec l'opératrice du Samu.

"Moi et mon mari, lorsque nous avons eu cette bande, on avait beaucoup de questions", euphémise la mère de la victime, Honorine Musenga, accompagnée de ses enfants au tribunal. Son mari est décédé au cours de la procédure.

L'écoute de cette bande, c'était comme si "quelqu'un poignardait Naomi pour mettre fin à sa vie, c'est ça que nous avons ressenti", assure la mère. "Ça nous a fait mal pendant sept ans, pour que nous arrivions à cette journée".

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Elle reçoit les excuses que Corinne M. a exprimées à l'ouverture de l'audience, à qui elle "pardonne". "Nous avons besoin de panser nos blessures pour poursuivre notre route", conclut-elle.

Avec AFP

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