« On avait mis en place un système qui fonctionnait pour télésurveiller l’insuffisance cardiaque, et patatra ! L’Etat vient jeter du sable ! »

Article Article

L’ensemble des cardiologues ont publié une lettre ouverte au Président de la République, Premier Ministre et Ministre de la Santé afin de dénoncer les changements pour la télésurveillance induit par les négociations sur son passage en droit commun et particulièrement le dernier décret* relatif à sa prise en charge et son remboursement. Vincent Pradeau, président du CNP cardiovasculaire, nous explique les raisons de son mécontentement.

« On avait mis en place un système qui fonctionnait pour télésurveiller l’insuffisance cardiaque, et patatra ! L’Etat vient jeter du sable ! »

Vincent Pradeau, président du CNP cardiovasculaire

What’s up doc : Concrètement quel impact a ce décret sur la télésurveillance cardiaque ?

Vincent Pradeau : Dans le cadre du protocole, ETAPES, la télésurveillance cardiaque était soumise à expérimentation. Elle arrivait à terme fin 2021 et devait ouvrir sur des discussions d’abord en juillet 2022 puis en 2023. Les décrets de passage en droits commun changent les règles du jeu. Nous allons nous retrouver avec du temps consacré aux patients qui va se transformer à faire de la paperasse sans valeur ajoutée. Le système de télésurveillance donnait satisfaction à tout le monde. Des choses, jusqu’ici faites par les industriels, sont transférées aux soignants sans l’amendement de ces derniers. La visibilité est tellement faible que le leader du marché a jeté l’éponge il y a une semaine. La moitié des patients en l’espace de quelques semaines se sont retrouvés sans télésurveillance, il faudra leur trouver un autre système. Les médecins s’étaient habitués à fonctionner avec un système qui globalement avait été plutôt intelligent. Il permettait de structurer le parcours des insuffisants cardiaque, et de gérer son temps. Il faut trouver du temps médical, là on nous en enlève encore. Cela provoque une grosse colère de toute la communauté cardiologique.

«Le système de télésurveillance donnait satisfaction à tout le monde. Suite au décret nous allons nous retrouver avec du temps consacré aux patients qui va se transformer à faire de la paperasse sans valeur ajouté »

Pouvez-vous nous en dire plus sur les tâches prises en charge par les industriels jusqu’ici ?

VP : La surveillance des dates de renouvellement, la surveillance de l’observance du patient, le renouvellement tous les six mois qui devient mensuel, tous cela incombait à l’industriel. Maintenant tout revient aux médecins, une vraie perte de temps. Par exemple quand il y avait un défaut de transmission à cause du poids, l’industriel s’en chargeait. Il allait récupérer les données, maintenant ce sera le médecin. On vous charge la barque encore, et encore sans raison.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/la-lettre-ouverte-au-president-de-la-republique-depasse-les-100-000-signatures

Dans quelle proportion votre charge de travail va-t-elle augmenter ?

VP : C’est difficile de faire une estimation, mais nous pouvons dire que notre charge de travail va augmenter de 20 à 30 %.

En quoi consiste la veille du médecin en temps normal ?

VP : Le système de télésurveillance génère un certain nombre d’alertes, en fonction de celles-ci, par exemple, une prise de poids, une augmentation de l’essoufflement… un médecin ou une infirmière pouvaient agir bien en amont de la décompensation qui amène le patient aux urgences. La télésurveillance permet de faire un suivi et d’anticiper les décompensations, tout cela à domicile.

« Les insuffisants cardiaques c’est 1 millions de personnes avec une mortalité bien supérieur aux autres cancers, la télésurveillance avait fait ses preuves, ce décret remet tout en cause»

Quel est l’impact économique ?

VP : Ce n’est pas une perte d’argent, mais une charge supplémentaire qui n’est pas reconnue. En revanche, les forfaits pour les industriels sont baissés. Un certain nombre d’entre eux du fait du manque de rentabilité ont jeté l’éponge. L’impact pour le patient est énorme ! Nous avions un système qui fonctionnait. On avait pris en charge la surveillance de l’insuffisance cardiaque, qui représente 1 millions de personnes, avec une mortalité bien supérieure aux cancers. La CNAM en avait fait sa priorité, l’avait mis dans son cahier des charges. Et patatra on jette du sable au lieu de mettre de l’huile.

Avez-vous été entendu par le ministère ?

VP : Des discussions, il y en a eu beaucoup avec l’ensemble des sous-couches. Pour l’instant, le courrier est parti hier, nous attendons que ce soit pris en compte.

* n° 2022-1767 du 30 décembre 2022

Les gros dossiers

+ De gros dossiers