« Après 35 ans à l'hôpital j'ai décidé de partir, alors que j’ai une grosse capacité à encaisser. Cela n’avait plus de sens »

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Au centre hospitalier public du Cotentin de Cherbourg, quatre urgentistes ont décidé de démissionner. Charles Jellef urgentiste hospitalier durant 35 ans n’a pas trouvé d’autres solutions face à une situation de plus en plus dramatique. Chef de service dans plusieurs hôpitaux, aguerrie au métier. Il confie son désarroi à What’s up doc.

« Après 35 ans à l'hôpital j'ai décidé de partir, alors que j’ai une grosse capacité à encaisser. Cela n’avait plus de sens »

What’s up doc : Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler à l’hôpital au début de votre carrière ?

Charles Jellef : Je ne pensais pas pouvoir avoir le même type de travail dans un exercice libéral. D’autre part, à l’hôpital, c’est là que l’on voit toutes les pathologies. À la clinique, il y a un petit filtrage. À l’hôpital toutes les spécialités sont représentées. Enfin, le dernier élément qui m’a toujours intéressé c’est la transmission aux internes et aux externes. On apprend des choses au contact des autres humains. C’est du compagnonnage. C’est ça qui fait la richesse du médecin expérimenté : c’est qu’il a vécu plein de situations inédites et peut les transmettre. C’est extraordinaire et extrêmement valorisant. Chose que je ne connaitrai plus malheureusement.

Qu’est-ce qui vous a poussé à partir de l’hôpital ?

C.J. : Il m’en faut beaucoup. J’ai une capacité à encaisser émotionnellement assez importante. Ce qui m’a poussé à partir est la charge de travail que l’on doit fournir en un laps de temps réduit. Nous sommes dans des métiers où l’on a tout le temps l’impression d’être submergé, mais finalement on règle les situations une à une. Maintenant, de plus en plus, on laisse les situations aux autres pour le lendemain. Il y a le sentiment que l’on n’avancera pas et que si nous proposons des choses on ne vous écoutera pas, voire même on vous méprisera.

Y-a-t-il eu un élément déclencheur qui vous a poussé à franchir le pas ?

C.J. : L’été dernier j’ai eu 60 ans. Cela faisait 3 ans que j’étais en temps partiel à la Clinique Saint Côme à Compiègne. Pour les urgentistes ; l’été est très compliqué, nous travaillons toujours en effectif réduit. J’ai un collègue qui était tellement au bout du rouleau qu’il m’a avoué pleurer dans son bureau. L’année dernière je me suis retrouvé à 60 ans avec une charge de travail importante. Les autorités ne nous aident pas et je me suis dit : « Non ce n’est plus possible. J’arrête ! ».

La loi donne aux directeurs d’hôpitaux de plus en plus de pouvoir. Ils sont comme des chefs d’entreprises. Je ne suis pas contre cela, il faut des gens qui fassent des choses comme payer les factures, qu’un médecin ne fera pas. Mais quand quelqu’un commence à prendre des décisions sans avoir toute l’expertise et en plus essaie de vous exclure par le mensonge et vous méprise, je dis non ! Je ne cautionne pas ça. Quand je travaille, je donne du sens à ce que je fais. Si je ne peux plus le donner, c’est fini.

La clinique privée a été un refuge pour vous ?

C.J. : Le fait d’avoir été à mi-temps entre une clinique privée et l’hôpital a été une solution de repli immédiate.  Pour mes collègues, cela a été plus compliqué. C’est un grand saut de se dire j’arrête l’unique emploi que j’ai.

Le fait de travailler dans une clinique privée a remis en question vos convictions ?

C.J. : Le sens de mon métier est de donner satisfaction au patient que je soigne. Que je le soigne en clinique ou en hôpital c’est pareil.

Qu’est ce qui ne va pas à l’hôpital pour vous ?

C.J. : Quand j’ai été chef de service, j’ai ressenti une grande fierté d’avoir été nommé à un poste à responsabilité. Et puis je me suis vite rendu compte que l’on faisait beaucoup de choses inutiles, c’était beaucoup de représentation. À tel point qu’à cette période-là, j’avais mis au point un système pour le courrier. On en reçoit énormément ! Je le classais par ordre d’arrivée, j’avais mis la poubelle au bord du bureau et quand je n’avais pas été sollicité au bout de deux-trois mois je poussais le courrier dans la poubelle.

À l’hôpital vous avez un directeur de ci et de ça, des cadres de pôles. Il y a un argent fou dépensé qui à mon avis sert peu et est même contre-productif. Quand je compare avec la clinique, vous avez un directeur administratif, des chefs de bureau, au-dessus du directeur administratif, un directeur médical qui a été nommé par ses collègues. Cela fonctionne beaucoup mieux.

Ce n’est pas non plus normal que l’on refuse l’accès aux urgences à certaines personnes. Maintenant cela devient compliqué pour les patients, il y a de moins en moins de médecins traitants. J’ai des vu des urgences vitales arriver en marchant tranquillement. Heureusement que nous avons pu les prendre en charge. Avec un système de filtrage par le 15, plein de gens ne viendront pas, il va y avoir d’autres soucis.

Ensuite dans le domaine des urgentistes le 15 a décidé il y a 17 ans de réguler les appels que recevaient les médecins de garde, tout en ne les obligeant pas à être de garde. Résultat les médecins généralistes ont arrêté.

Deuxième chose l’enseignement de la médecine d’urgence est phagocyté par les grands centres universitaires et les directeurs d’enseignements sont tous les patrons de SAMU. Donc les étudiants sont formatés, urgence vitale et prise en charge SMUR. Or deux choses : l’urgence vitale représente moins de 15 % de sa carrière et le pourcentage des patients pris en charge par le SMUR et le pourcentage qui se retrouve en réanimation est moins de 25 %. Donc il y a des gens qui se baladent toute la journée sur la route pour faire quelque chose qui ne correspond pas à la réalité. On est sur un modèle SAMU désadapté.

Qu’est-ce qui vous aurez fait rester ?

C.J. : Si on nous avait écoutés depuis 3 ou 4 ans. Il y avait cette histoire de gouvernance dans l’établissement, je l’ai fait remonter à plusieurs reprises. Quand on a un certain âge et que l’on sait qu’on peut retrouver du travail partout, on dit les choses. C’est comme l’intérim médical, je ne connaissais pas avant d’arriver à Cherbourg. C’est utile, il y a toujours des aléas dans la vie professionnelle. Il peut y avoir un manque à un endroit. Mais maintenant c’est devenu une institution. Les médecins ne veulent exercer que de cette façon-là car ils ont la garantie d’avoir un salaire deux à trois fois plus important. Ils choisissent leurs périodes de travail et n’ont pas d’investissement personnel dans l’établissement. Travailler avec des gens qui ont cet état d’esprit ce n’est pas possible pour moi ! Et qu’en plus ce soit cautionné par l’Etat. Jean Castex avait dit, il y a 3 ans : « nous n’appliquerons pas le décret qui limite la rémunération car cela va créer de gros problèmes dans les hôpitaux, ils vont finir par fermer ». Je les avais prévenus sur l’augmentation des prix avec malgré tout, la fermeture des hôpitaux. Au bout de trois ans on en est là.

 

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