Viscères au point

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Critique de "De Humani Corporis Fabrica", de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor (sortie le 11 janvier 2022). Un documentaire qui filme les entrailles de l'hôpital... et de ses patients.

Viscères au point

Au-delà de la performance technique des réalisateurs qui exposent sur grand écran un monde intérieur rarement montré, nous retiendrons à quel point la technicité de l'intervention médico-chirurgicale tient du miracle constant, dans deux environnements si fragiles et si justement mis en résonance.

L'aventure intérieure sur grand écran. Un pari esthétique autant que technique, qui rappellera certains souvenirs de stage, quand ce n'est pas leur quotidien, chez la plupart d'entre nous. Si nous sommes en partie privés de l'effet de surprise du néophyte, la démarche reste impressionnante. Au diapason d'un rythme cardio-vasculaire imprimant sensoriellement chaque séquence d'endoscopie, le film montre comment un centre hospitalier est constitué, tout comme les corps dont il s'occupe, d'un ensemble de fonctions dont l'articulation et l'efficience tiennent du miracle constant. Les commentaires, sur le vif et souvent étouffés, laissent transparaître l'exaspération d'un système à bout de souffle. Et c'est bien là le paradoxe : alors que l'innovation n'a eu de cesse de révolutionner cet accès au corps autrefois sacrilège et que Vésale, dont le traité donne son titre à ce documentaire, avait initié, alors que l'hôpital public n'a jamais lésiné sur les moyens pour rendre accessible à tous ce niveau d'habileté, les réalisateurs suggèrent que le "corps" soignant est au bord du passage en réa, en raison de marges qui s'effectuent au détriment de l'humain - telle cette secrétaire hospitalière qui s'occupait de rassurer les familles et dont le poste n'existe plus -, la présence humaine se faisant selon la disponibilité du personnel de réa. 

L'hôpital lui-même est montré comme un réseau de voies de circulation, de ses parkings souterrains à ses systèmes de transmission, filant la métaphore anatomique jusque dans la technique utilisée pour en filmer l'exploration. Chaque orifice, ou presque, donne lieu à une séquence d'exception, entrecoupée régulièrement de scènes plus banales rappelant la fragilité des corps, leurs dérèglements, et la complexité de cet agencement qui ne tient qu'à un fil. Ce panorama de la chair, de ses viscères et de ses béances, illustre comme rarement combien pénétrer un corps, même pour y faire acte de soin, relève du tabou, du franchissement d'une limite dont la sacralité de jadis a tendance à revenir sous une autre forme. C'est par une scène de conclusion de fresque de salle de garde que les réalisateurs, également anthropologues, restituent la double nécessité à laquelle sont confrontés tous les soignants : le maillage - plus que l'interaction - et l'exutoire profane. 

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