Vie d'auxiliaire

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Critique de "Voir le jour", de Marion Laine (sortie le 12 août 2020).

Vie d'auxiliaire
Jeanne, auxiliaire de puériculture dans un service de maternité, traverse une crise existentielle alors que sa fille s'apprête à quitter le nid, que la perspective d'une erreur médicale plane sur son équipe et que certains fantômes de son passé refont surface. Un beau portrait de femme qui renaît à elle-même et réussit peu à peu à embrasser sa vie, mais qui vaut surtout par son arrière-plan, la description très juste et très vibrante d'un service de maternité d'aujourd'hui.

La scène d'ouverture de ce beau film qu'est Voir le jour résume à elle seule l'ambition de Marion Laine, et montre son talent pour y parvenir. Caméra légère et virtuose, elle sait capter les mouvements imperceptibles et les ruptures de rythme qui animent, tel un ballet, un service hospitalier. Et en choisissant une maternité, au moment d'une garde de nuit, elle vise les émotions les plus denses, les situations les plus complexes, puisque touchant au sacré de la naissance, cet instant où la vie constitue une première lutte contre la mort. 

Parce qu'elle a été témoin d'une scène qui l'a perturbée, Jeanne, auxiliaire puéricultrice dans l'unité, se sent responsable de la perte du bébé de l'une de ses patientes. C'est peu à peu que Marion Laine nous fera saisir l'importance de ce moment, premier déclic qui fera ressurgir le passé de cette femme que tout le monde apprécie mais que personne ne connaît vraiment. Plus convaincante dans la délicatesse de la révélation que dans la voie romanesque, teintée d'onirisme, qu'elle choisit pour en narrer le contenu, elle brosse avec une belle empathie un portrait de femme non encore accouchée à elle-même et qui va, en quelques jours cruciaux, naître pour une troisième fois.

Ce moment où elle décide de ne pas abandonner le rôle de mère qu'elle n'a pourtant pas choisi est un premier moment fondateur. Nous comprendrons que le choix de son métier est en partie lié à la naissance de sa fille, et première renaissance pour elle. Mais nous assisterons aussi, et c'est ce qui fait toute la force du film, à la naissance d'une volonté, d'un engagement, d'une implication. De secrète et discrète, Jeanne va passer à la prise de conscience de soi et à l'affirmation de ce qu'elle souhaite. Et le fait que cela éclose au final dans sa vie professionnelle a quelque chose de particulièrement émouvant. Car, au fond, quel terme plus approprié que celui d' "auxiliaire" pour appréhender, de par sa polysémie même, toute la complexité de cette fonction, de cette place, toujours tentée d'être reléguée à l'accessoire, bien qu'essentielle? Quel terme plus symbolique, aussi : cette difficulté à être à une place, n'est-ce pas ce que Jeanne vit au plus profond d'elle-même? C'est bien par choix, et pour se défendre, pour les défendre, tous ces métiers qui pourraient sembler auxiliaires, qu'elle finira par redonner de la voix - là encore, un beau symbole...

C'est aussi, au fond, ce que raconte ce film-ballet quand il s'attarde, pour en constituer les scènes les plus réussies, sur la vie de ce service, presque exclusivement féminin, ce qui est tout sauf un hasard, où chacune, du fait de la multiplicité des fonctions et des statuts - même médecin, on s'y perd un peu! - oscille toujours entre solidarité et revendications individuelles. Où, en tout cas, la vocation et l'esprit d'équipe sont tout sauf innés et constants. Se faire sa place, toujours. Et savoir reconnaître, accueillir, celle des autres... Une description, pour le coup, plus nuancée qu'il n'y paraît.

Il faut enfin souligner le bonheur qu'il y a à revoir, autour de Sandrine Bonnaire, des actrices au jeu si simple et si juste que sont Brigitte Roüan et Aure Atika. Tout comme le fait de découvrir des talents en devenir, tel celui, tout en fraîcheur, de Kenza Fortas. Toutes ces actrices qui actuellement, elles aussi, ont une place et un art à défendre...

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