Véronique Fournier : sois vieille et ouvre-la !

Article Article

Après un parcours qui l’a menée, entre autres, du cabinet Kouchner au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie en passant par le Centre d’éthique clinique de l’AP-HP, le Dr Véronique Fournier s’est donné une nouvelle mission : faire entendre la voix des vieux.

 

Véronique Fournier : sois vieille et ouvre-la !

Véronique Fournier, une médecin au chevet des personnes âgées.

© Betrand Desprez

What's up Doc : On a commencé à vous connaître surtout pour vos travaux sur la fin de vie, on vous trouve maintenant à vous occuper de la vieillesse… Est-ce que ce parcours à rebours de la vie va vous conduire en pédiatrie ?

Véronique Fournier : Je ne crois pas faire les choses à rebours [rires] ! Ce qui est sûr, en revanche, c’est que lorsque j’étais au Centre d’éthique clinique à Cochin, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de questions éthiques émergentes à propos des vieux, et surtout des très vieux : jusqu’où on les soigne, est-ce que c’est éthique de leur proposer des soins similaires à ceux qu’on leur proposerait s’ils avaient 50 ans de moins, est-ce que c’est discriminant si on ne le fait pas ? Le Centre d’éthique clinique a ceci d’intéressant que c’est un lieu vers lequel les équipes se tournent quand elles n’ont pas de point de repère, et on a tendance à y voir arriver les sujets plus tôt qu’ailleurs.

 

Véronique Fournier : Est-ce le même cheminement qui vous a conduite à vous intéresser à la fin de vie ?

VF. : Oui, mais c’était avant. Quand on a créé le Centre d’éthique clinique au début des années 2000, les premières sollicitations lourdes ont été autour des demandes d’aide à mourir. C’était l’époque de Vincent Humbert, juste avant la loi Leonetti. Nous avions beaucoup d’autres sollicitations, mais le noyau dur était véritablement sur l’aide à mourir.

 

Il y a donc bien un cheminement à rebours, alors allons-y franchement : sans remonter à votre petite enfance, pouvez-vous nous dire comment vous en êtes venue à la médecine ?

VF. : Vers 8 ou 9 ans, j’ai commencé à dire que je serai médecin… mais je ne sais absolument pas pourquoi. J’ai ensuite découvert que c’était un métier qui m’allait bien, notamment parce qu’il permet d’entrer de façon intense et immédiate en relation avec les gens.

 

Sans dévoiler votre âge, pouvez-vous nous parler de vos études médicales : comment se sont-elles passées, quels souvenirs marquants en gardez-vous ?

VF. : En tant que membre fondatrice du CNAV [Conseil national autoproclamé de la vieillesse, NDLR], je n’ai pas de problème pour vous dire mon âge : j’ai 68 ans. Je suis arrivée en médecine au moment du premier numerus clausus. C’est d’ailleurs contre ce dernier que j’ai manifesté pour la première fois de ma vie, en 1971 ! J’ai adoré mes études de médecine, qui se sont déroulées à Necker.

« Leur âge, ils s'en foutent, les médicaments aussi ; ce qui leur importe, c'est qu'on les considère d'égal à égal, qu'on ne décide pas à leur place sous prétexte qu'ils sont vieux »

Comment vous êtes-vous orientée vers la cardiologie ?

VF. : Au début, je voulais être médecin généraliste à la campagne. Et puis par le jeu des circonstances, je me suis orientée vers la cardiologie, que j’aime notamment parce que c’est une spécialité assez généraliste qui permet d’avoir des relations suivies avec les patients. Les cardiaques sont des gens sympathiques, ce sont en général de bons vivants, des gens pleins de vie !

 

Mais vous avez aussi fait de la santé publique…

VF. : Oui, une fois mes études finies, j’avais l’impression d’avoir la tête complètement mal fichue. J’ai décidé de faire Sciences-Po en parallèle de l’internat. Alors que mes copains choisissaient un axe de recherche pointu, moi je me suis intéressée à la dimension politique et sociale de la médecine. Ce n’était pas toujours facile, mes profs trouvaient cela extrêmement bizarre, mais cela m’a ouvert l’esprit de façon fantastique.

 

Une fois linternat et Sciences-Po terminés, quavez-vous fait ?

VF. : J’ai travaillé dans l’industrie pharmaceutique, puis à la direction de l’Assistance publique, tout en gardant un mi-temps clinique, car j’ai toujours considéré qu’un médecin sans patients n’était pas vraiment un médecin. Je n’ai jamais arrêté de voir des malades.

 

Vous êtes par la suite entrée au cabinet de Bernard Kouchner, comment cela sest-il passé ?

VF. : Je connaissais du monde au cabinet du Ministre, et un jour on m’a demandé de venir pour participer aux États généraux de la santé. Plus de 1 000 réunions se sont tenues, ce qui a généré un nombre considérable de données qu’il a fallu analyser. J’ai été l’une des chevilles ouvrières de ce travail. Et ce qui est ressorti très fortement de ces états généraux, c’est que les gens en avaient marre d’être infantilisés par les médecins. Ils voulaient participer aux décisions qui les concernaient. Leur revendication emblématique était d’avoir accès à leur dossier médical. On m’a demandé de rester pour travailler sur la loi qui allait ouvrir ce droit. Ce fut la loi Kouchner de 2002.

 

Cest une mesure qui a suscité pas mal de protestations…

VF. : Oui, beaucoup de médecins craignaient la judiciarisation de la santé. On nous disait que les droits des patients, c’était bien, mais qu’il ne fallait pas oublier les droits des docteurs… C’était assez chaud ! Je me souviens même d’un patient que je suivais en cardiologie et qui est venu me voir, complètement perdu : on lui avait diagnostiqué un cancer de la prostate, et son médecin, énervé par la loi, lui avait dit que puisque désormais c’était aux malades de décider, il n’avait qu’à choisir lui-même entre radiothérapie, chirurgie et curiethérapie !

 

Et cest comme cela quest né le Centre d’éthique clinique…

VF. : Oui, voyant que des problèmes allaient sans doute émerger, on s’est dit qu’il serait malin de créer un dispositif d’accompagnement de la loi pour voir comment les choses allaient se dérouler concrètement sur le terrain. Le Centre d’éthique clinique a été conçu comme un lieu d’aide, lorsqu’une décision médicale est bloquée du fait d’un conflit de valeurs. Les uns veulent une chose, les autres son opposé. Que faire ? L’éthique, pensions-nous, était un bon chemin où se retrouver ensemble pour discuter de comment s’en sortir. Mais cela a été mal perçu, et pour tout dire assez violent : on nous a demandé depuis quand les patients avaient leur mot à dire en éthique, on a questionné notre légitimité… En fait, la façon dont nous concevions la démarche éthique était assez différente de celle qui avait cours jusque-là en France. J’avais été envoyée par le Gouvernement aux États-Unis pour étudier leur modèle de consultation d’éthique clinique et voir s’il serait pertinent de l’implanter en France. La conclusion avait été positive mais les acteurs de terrain voyaient ce nouveau dispositif d’un mauvais œil. 

 

Et comment en êtes-vous venue à travailler sur la fin de vie et les soins palliatifs ?

VF. : Quand en 2016 le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie a été créé, la Ministre Marisol Touraine a pensé à moi pour le diriger. Cela a été dur. J’ai eu peu d’alliés. J’ai été considérée comme trop molle par les militants du droit à mourir, et comme trop compromise avec eux par les gens des soins palliatifs. Tout de même, je suis fière de ce que nous avons réussi à faire avec la petite équipe qui m’a accompagnée dans cette aventure.

 

Arrivée à la retraite, après tous ces combats, vous auriez pu vous reposer et profiter de la vie. Quest-ce qui vous prend de vous lancer dans une nouvelle aventure concernant le grand âge ?

VF. : Il y a une vie après la vie professionnelle ! J’ai adoré avoir des patients, mais me tenir au courant du dernier antiarythmique, franchement, j’en avais plus qu’assez ! Je me suis donc demandé ce que je pouvais faire pour servir la société. Et comme je l’ai dit, je me suis aperçue que le vieillissement était un sujet sur lequel il n’y avait pas de réponses : quelle médecine, quelle institution, quelle société, quelle place pour quelle vieillesse ? J’ai eu envie de travailler sur ce sujet avec d’autres.

 

Votre idée est donc de porter la voix des vieux, qui nest selon vous portée par personne…

VF. : Oui, aujourd’hui, les politiques publiques qui concernent la vieillesse sont pensées par des gens qui ne sont pas concernés par le sujet : ils ne sont pas vieux. Alors, je vais à la rencontre des gens âgés pour comprendre ce qu’ils vivent, ont à dire et tenter de remonter ensuite cette information. C’est assez fascinant car ils sont très divers. Il y a des jeunes vieux, des moyens vieux, des très très vieux, tous n’ont pas les mêmes attentes, ni les mêmes besoins. 

 

De quelle manière vous impliquez-vous concrètement ?

VF. : De plusieurs façons. Je participe à une étude lancée par le Centre d’éthique clinique dans laquelle nous suivons une cohorte de 100 personnes âgées que nous allons voir tous les 6 à 9 mois, pour qu’elles nous expliquent ce que c’est que de vivre très vieux. Par ailleurs, avec une association que j’ai créée, qui s’appelle « La Vie vieille », nous tentons de produire de la connaissance sur ces questions, pour que la société comprenne mieux qui sont ces gens que l’on appelle les vieux. Nous avons publié un premier livre, Qui est vieux ici ? [voir biblio express, NDLR], à partir d’un premier séminaire de travail sur cette question. Je viens aussi d’ouvrir une maison de vacances spécialement conçue pour les personnes vieilles ou à mobilité réduite. Parce qu’elles aussi ont le droit de continuer d’avoir envie et besoin de lieux de vacances. Or peu de lieux sont conçus en tenant compte de leurs difficultés de mobilité. Enfin, je suis active au sein du CNAV.

 

Que voulez-vous dire aux jeunes médecins concernant la prise en charge des personnes vieilles ?

VF. : Je veux d’abord leur dire qu’ils font un métier fantastique, que l’on peut exercer partout, et de mille façons différentes. Cela étant posé, à propos des vieux, mon message est le suivant : les vieux veulent continuer à vivre le mieux possible tant qu’ils sont en vie et que les médecins les aident à cela ; leur âge, ils s’en foutent, les médicaments aussi ; ce qui leur importe, c’est qu’on les considère d’égal à égal, qu’on ne décide pas à leur place sous prétexte qu’ils sont vieux et qu’on arrête de ne les considérer qu’au travers de leur âge. 

 

Ce dialogue d’égal à égal est-il possible dans le système de santé actuel, où la contrainte de temps est de plus en plus présente ?

VF. : Le dialogue est toujours possible. Bien sûr, l’hôpital ne va pas bien, mais justement, c’est dans ce type de situation que le dialogue est indispensable.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/rony-brauman-poil-gratter-de-lhumanitaire

Mais quand on na matériellement pas le temps de dialoguer ?

VF. : Il faut résister. Peut-être que si on avait davantage résisté, on n’en serait pas là.

 

Bio express

1984. Thèse de médecine
1999. Entre au cabinet de Bernard Kouchner
2002. Fonde et dirige le Centre d’éthique clinique de l’AP-HP
2016. Présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie
2021. Cofondatrice du CNAV


Biblio express

Puisquil faut bien mourir, La Découverte, 2015
Aide-mémoire d’éthique clinique, Dunod, 2021
Qui est vieux ici ?, Rue de Seine, 2022

Les gros dossiers

+ De gros dossiers