Un dernier Clint pour la route

Article Article

Critique de Juré n° 2, de Clint Eastwood (sortie le 30 octobre 2024).

 Justin Kemp, époux épanoui sur le point d'être père, a d'autres chats à fouetter que de siéger dans un jury d'assises. Ne pouvant échapper à ce devoir, il se retrouve confronté à une affaire où il apparaît que, contre toute attente, il pourrait être responsable de la mort d'une jeune femme dont le conjoint doit répondre. En résulte un dilemme moral auquel Justin pense pouvoir échapper en convaincant le jury de l'innocence de l'accusé.

Un dernier Clint pour la route

Nicholas Hoult dans Juré N°2 de Clint Eastwood.

© DR.

Avec ce probable dernier film, Clint Eastwood tire sa révérence de la meilleure des façons en nous offrant une vision du monde acérée et nuancée. Une conception morale mais jamais moralisante de la responsabilité, qui aurait toute sa place dans les manuels d'addictologie.

Précisons d'emblée que c'est sous cet angle addictologique que l'ultime opus de Clint Eastwood s'est avéré intéressant puis progressivement passionnant. Passons outre la qualité du film, son scénario au cordeau, son art de ne jamais vouloir surpasser la filiation dans laquelle il s'inscrit, tout en demeurant parfaitement au niveau du statut de grand classique auquel il aspire manifestement. Ce n'est ni un film testamentaire ni une ultime provocation, juste une oeuvre qui se contente de la force tranquille que l'artisan nonagénaire aux idées claires et à la vision globale lui insuffle.

Il est presque réjouissant de voir la facilité avec laquelle Eastwood se débarasse de l'héritage encombrant que pourraient constituer les Douze hommes en colère de Sidney Lumet, plongeant notre héros au coeur pur au sein d'un jury détestable, archétype d'une société gangrenée par les préjugés et les raccourcis simplistes dont l'efficacité supposée est érigée en alibi d'un arbitraire post-moderne. Comme si le réalisateur tenait à nous montrer que, dans cette histoire de procès qui bascule, l'enjeu est ailleurs que dans le premier degré du canevas policier sur lequel il repose. Enjeu qu'il déplace vers deux personnages : tout d'abord le juré dont il est question, monsieur tout le monde - tel que pouvait l'incarner Henry Fonda - auquel ont été rajoutées des failles suffisamment importantes pour le rendre encore plus emblématique de la masculinité actuelle ; puis, plus subtilement, un personnage porteur de symbole sur lequel nous reviendrons ultérieurement.

« On se plait à rêver que politique, justice mais aussi médecine soient aussi inspirées que ce cinéma-là. Celui qu'on aime » 

Ce qui est génial avec Eastwood, qui ne s'est jamais caché d'être un grand réac dans la vie, c'est de constater à quel point son cinéma transcende la binarité dont il semble se revendiquer. La prend-il volontairement à contrepied ou s'agit-il d'un mouvement qui le dépasse ? Toujours est-il qu'une fois encore, c'est dans les nuances de l'âme humaine que loge la puissance de son film, puissance métaphorique délivrée en deux temps. Le moment où Justin réalise qu'il a probablement renversé accidentellement cette jeune femme dans l'obscurité d'une nuit pluvieuse symbolise celui du choix déterminant. Or, Justin est un alcoolique abstinent. Ce choix auquel il est confronté fait suite à d'autres qui, mis bout à bout, l'ont conduit à ne plus pouvoir fuir. Ces décisions apparemment sans conséquence, prendre un dernier verre ou pas, dire à sa femme quelle route on a pris ou pas, au risque d'être confondu, et qui mènent à toujours plus de dissimulation, d'éloignement du soi idéal. Ce choix d'assumer son acte, Justin s'y soustrait à plusieurs reprises, aidé par le hasard ou la complicité. Et c'est parce qu'il garde un regard terriblement humain sur lui, permettant à chacun de s'identifier, qu'Eastwood réussit si bien à extraire et rendre compte du tragique de sa condition, celle d'un homme qui croyait être sorti de son addiction mais n'a pas atteint le stade ultime de cette libération : celui de la responsabilité, pris entre les deux écueils que constituent l'autoculpabilisation excessive et le déni.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/comment-est-ta-peine

Rien qu'avec ce glissement du conflit de groupe vers le drame individuel, Eastwood aurait déjà réussi son pari. Mais, sur cette intrigue intime portée par un Nicholas Hoult dont la douceur ajoute à sa dimension poignante, le vieux sage a l'intelligence de greffer une seconde trajectoire, celle d'une procureure ambitieuse qui, progressivement, se dépare de son flair politique pour se reconnecter à sa passion de la vérité et de la justice. Procureure qui finira par rencontrer pleinement ce juré dont elle seule pouvait déduire la culpabilité, à condition de bien vouloir la voir. C'est une Toni Collette épatante d'authenticité qui incarne ce symbole de la Loi qui, lorsqu'elle est appliquée de façon juste, constitue souvent le dernier levier thérapeutique possible. En ces temps de faits divers ramenés à une dimension racoleuse et populiste, on se plait à rêver que politique, justice mais aussi médecine soient aussi inspirées que ce cinéma-là. Celui qu'on aime. 

Aucun commentaire

Les gros dossiers

+ De gros dossiers