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La Covid a décuplé la propagation de fake med mais aussi les canaux d’information, rendant colossale la tâche de les contrer. Il y a quelques semaines, l’INSERM lançait un nouveau volet de sa campagne grand public – « On gagne tous les jours à s’intéresser à la santé » – présentant comme en 2023 une série de vrais-faux produits miracles, à l’instar de YouTube Health, qui diffuse des contenus médicaux en association avec l’agence publique britannique National Health Service. L’INSERM s’y emploie avec sa chaîne YouTube Canal Détox, ou l’INCa avec ses podcasts Les Éclairages. Le très actif NoFakeMed, animé par un collectif de professionnels de santé, informe et alerte sur les infox et alternatives douteuses, de la mésothérapie aux fleurs de Bach, en passant par l’urinothérapie.
Les tips de jmcoco
Médecin généraliste, Jean-Marie Cohen s’est vite trouvé confronté à des affirmations ou contre-vérités à creuser, affûtant ses arguments ou cherchant la phrase qui tape dans le mille face à la défiance vaccinale, particulièrement présente chez les patients français.« Les professionnels de santé disposent de ressources sur les vaccins sur infovac.fr, professionnels.vaccination-info-service.fr et mesvaccins.net. Et je citerai mon chouchou, vls.direct, plateforme collaborative créée par le collectif Vaccination & Lien social. Il rassemble une information précise et sourcée vers laquelle on peut orienter le grand public. »
Sur base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr on trouve le détail de composition des vaccins et sur vaccine-schedule.ecdc.europa.eu les recommandations vaccinales en Europe. Jean-Marie Cohen épingle au passage les effets délétères des disparités de délai entre les différents pays : « Je me souviens d’un débat à l’Académie de médecine qui disait que 25/45/65 ans avait été décidé en raison de son caractère mnémotechnique. »
Le généraliste cite aussi la chaine Youtube TroncheEnBiais qui propose des vidéos drôles mais rigoureuses sur nos biais cognitifs qui pourrissent les débats et ramollissent notre sens critique, ainsi que du débunkage de légendes urbaines. Ou enfin l’ExoConférence d’Alexandre Astier.
Au comptoir des pharmacies
« Les réseaux sociaux ou journaux télé regorgent de pubs invraisemblables où sont vantés des remèdes miracles contre l’arthrose – avec l’idée reçue que puisque ce sont des plantes, on ne risque rien –, déplore Françoise Amouroux, pharmacienne adjointe. L’huile essentielle de gaulthérie pour les rhumatismes, la statine naturelle contre le cholestérol, le curcuma pour les douleurs… ne font pas forcément bon ménage avec les anticoagulants ou autres. La dose fait le poison ! » Lorsqu’elle est questionnée sur les huiles essentielles auxquelles elle n’est pas formée, elle passe d’emblée la main à une collègue spécialisée. Et diffère sa réponse lorsqu’elle est interpellée sur des sujets inconnus : « Je me renseigne à l’Université de Bordeaux où j’enseigne, sur les sites de la HAS ou de Santé publique France, dans les bibliographies de certaines thèses. Et lorsque je ne trouve pas de réponse précise, je le reconnais et mets en garde. »
Titulaire d’officine, présidente du Syndicat des pharmaciens des Hauts-de-Seine et coprésidente de la SFSPO (Société francophone des sciences pharmaceutiques officinales), Béatrice Clairaz constate : « Notre formation d’officinaux ne nous a pas, ou peu appris à décrypter les études cliniques. Or on doit parfois argumenter sur certains médicaments, en s’appuyant sur le sérieux de telle ou telle étude ». Elle observe la mutation du métier : « Devoir prendre en charge la bobologie au comptoir de manière plus importante, eu égard à la démographie médicale, nous a conduits à adapter notre posture. Nous devons conseiller sur les produits en tenant compte de ce que le patient sait en arrivant, après ses recherches sur internet ou le visionnage de vidéos d’influenceurs – de plus en plus présents, en prise quasi directe avec les personnes –. Nous devons d’ailleurs aller voir sur les réseaux ce qui se passe pour pouvoir être pertinents face aux patients. »
Pallier la réponse publique
Avant l’annonce du confinement, en consultation de pneumologie, le professeur de pharmacologie Matthieu Molimard est alerté par des patients inquiets de l’incidence des corticoïdes pour l’asthme sur le Covid. Avec les professeurs pharmacologues Jean-Luc Cracowski à Grenoble et Vincent Richard à Rouen – geek de la SFPT (Société française de pharmacologie et de thérapeutique)–, ils lancent une FAQ1 via le site de la société savante et en relais des réseaux sociaux ainsi que des sites de pharmacovigilance, avec l’aide des internes en pharmacologie et d’un conseil scientifique pour valider les réponses. « Le Covid nous a occupés deux ans et nous avons continué, parce qu’il y a toujours des sujets : les gens ont vu sur TikTok que la Periactine leur ferait les fesses de Kardashian ou entendu parler des risques des fluoroquinolones… Nous nous réunissons chaque semaine, surveillons littérature et réseaux sociaux à l’affût des propos ou informations propices au bad buz susceptible de conduire à un mauvais usage du médicament. Nous rédigeons une réponse collégiale, chacun intervenant selon son domaine de compétences. »
https://www.whatsupdoc-lemag.fr/magazine/67
Faute de réponse institutionnelle, la SFPT a su réagir… avec ses petits moyens : « Les agences ont une latence trop longue et c’est pour cela que nous assurons sur le médicament et/ou sur la vaccination. Mais nous devons garder notre indépendance, l’industrie doit représenter moins de 3 % des financements. » Pour lutter contre la désinformation, médecins, pharmaciens et professionnels de santé doivent être formés : « Le médecin a besoin de matière déjà prédigérée pour répondre clairement à ses patients et être cru. Nous plaidons pour une plateforme grand public indépendante, accessible, flexible, corrigée et validée par des permanents scientifiques… avec une dose d’humilité. La crédibilité met des années à se construire et peut être détruite en deux jours. »