Tirez sur l'urgentiste

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Ciné week-end: Arythmie, de B. Khlebnikov (sortie le 1er août 2018)

Tirez sur l'urgentiste

Est-ce parce que son couple va mal qu'Oleg s'affranchit peu à peu de toute limite dans son métier de médecin urgentiste ? Ou est-ce à cause de son travail, phagocyté par des réformes toujours plus nombreuses et absurdes, que son couple va mal ? Une radioscopie sensible et intelligente de la Russie d'aujourd'hui... dans laquelle chaque médecin français pourrait se reconnaître !

Fausse piste délibérée ou sentiment de décalage avec la fameuse "âme russe", les premières scènes d'Arythmie semblent nous annoncer un film outrancier, décrivant le quotidien d'une équipe d'urgentistes sous perf constante de vodka. Effectivement, le film sera régulièrement injecté de scènes, chorales ou intimistes, où ça braille, ça picole, ça dégénère... Sa première grande force est pourtant d'élargir le champ, de basculer vers des questionnements plus universels et pour nous, du coup, plus personnels. Cette Russie qui s'éprend de capitalisme forcené, appliquant des règles collectives avec une rigidité administrative toute communiste, est-elle si éloignée de notre quotidien de médecin ?

En cela, Arythmie est un film éminemment satirique, dans la grande tradition russe. La façon dont le service des urgences bruisse peu à peu de l'arrivée d'un nouveau directeur n'est d'ailleurs pas sans rappeler le point de départ du Revizor de Gogol. Et les scènes d'intervention des urgences, extrêmement réussies, sont l'occasion d'offrir un panorama féroce, et vraisemblablement pertinent, de la société russe d'aujourd'hui qui tente de se raccrocher aux maigres repères qui lui restent, croyances mêlant traditionnalisme et nouvelles technologies...

Le film n'est pourtant pas que cela. Boris Khlebnikov dépasse un certain classicisme en réussissant à capter, à rendre concret quelque chose d'indéfinissable, mélange d'adrénaline et de concentration extrême, de solidarité d'équipe et de profonde solitude, de calme plat et d'accélération, d'attente et de décompression, propres à l'univers de l'urgence médicale. Il "décrit" un cortège de sensations et d'émotions avec une justesse et une économie de procédés assez impressionnantes. Cette arythmie qui donne au film son titre, celle de la narration, est avant tout celle des urgences. On n'avait pas vu autant de force et de richesse dans la radioscopie d'un milieu professionnel  depuis Polisse. Quant à l'histoire tristement banale de ce couple qui n'arrive pas à se ranimer, elle est transcendée par le jeu inspiré, à la fois animal et aérien, de ses deux interprètes.

Le film n'est ni optimiste ni dépressif. Il offre avec un épilogue tout en symboles la perspective d'un monde à l'arrêt, rendu immobile par des règles faussement collectives et efficaces puisque n'aidant personne, dont le salut viendra peut-être de sa reprise en main par la persévérance, et une certaine forme d'innocence, de quelques uns. 

Sous une apparente banalité, Arythmie se révèle être la bonne surprise de l'été !

Source:

Guillaume de la Chapelle

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