Thomas Lilti... un médecin en campagne ?

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Son dernier film nous a tellement touchés qu’on a eu envie d’en savoir plus sur
le cinéaste qui murmure à l’oreille des docteurs. Au coeur d’une promo intensive, il nous a fait le plaisir d’échanger quelques mots.

Thomas Lilti... un médecin en campagne ?

Thomas Lilti a cette capacité extraordinaire de capter l’essentiel dans l’anecdote, de parler à chacun de nous au travers d’expériences singulières. Avec Médecin de campagne, on craignait de le voir succomber aux charmes de la facilité et de la répétition. Il n’en est rien. Au contraire, comme les paysans qu’il décrit avec une formidable humanité, il creuse son sillon tout en renouvelant son terreau.

Il reste le cinéaste engagé d’Hippocrate mais la caméra est apaisée, il prend son temps, s’attarde plus sur ses héros, qu’on suit sans besoin d’en savoir trop sur eux. Il offre l’opportunité d’une composition incroyable à Marianne Denicourt – qui le lui rend bien par son talent –, leur complicité de cinéma est évidente. Cluzet est très pro, son monologue sur le métier de médecin (la « malédiction » dont parlait déjà Reda Kateb) est un sommet.

La narration, la mise en scène, la direction d’acteurs se sont affinées et affirmées. Il y a du Sautet chez Lilti : c’est une divine et émouvante surprise. 

WUD.  Comment est né votre Médecin de campagne ?

TL. Comme pour Hippocrate, dont le point de départ était l’hôpital, tout est parti de l’envie de filmer un lieu, un univers. Poser ma caméra, observer les gens qui y vivent, y travaillent, raconter leurs histoires, et voir où elles vont me mener. Certains sujets émergent plus que d’autres, mais tous sont importants.

WUD. Faire un nouveau film sur la médecine, c’était risqué !

TL. Je n’ai pas eu envie de refaire un film sur la médecine, mais de raconter la campagne. Parce que j’y ai travaillé et qu’elle m’a marqué. Je me suis bien évidemment inspiré de mon vécu, de mes rencontres, et un personnage de médecin s’est naturellement imposé. Je pense que la médecine est un faux problème : si j’avais filmé la vie d’une classe de collège, cela aurait été probablement beaucoup plus proche d’Hippocrate dans le ton et l’esprit !

WUD. À nouveau on retrouve le thème de l’apprentissage et de la transmission. Avec toujours des personnages un peu outsiders extrêmement attachants, ainsi que des figures tutélaires. Dans votre apprentissage du cinéma, avez-vous eu affaire à votre Werner (nom du personnage principal, ndlr) ?

TL. Pas du tout, mais j’ai eu la chance de rencontrer et d’être accompagné par des professionnels de mon âge, nous avons en quelque sorte évolué ensemble. Il s’agissait plus d’un compagnonnage stimulant que de la transmission verticale que l’on peut retrouver dans les études de médecine.

WUD. Votre cinéma est très social, cousin français de celui d’un Ken Loach.

TL. Je le revendique totalement. La dimension politique de mes films est bien présente, sans pour autant m’échapper : ce ne sont pas des tracts ! Leur côté « social » est plutôt une source d’inspiration qui vient nourrir mon écriture, d’un désir militant initial. Au départ de Médecin de campagne il y a la volonté de filmer mon amour de la campagne et du geste médical.

WUD. Vous sentez-vous concerné par les sujets d’actualité concernant la profession, son avenir ?

TL. Totalement. Cela me passionne. J’ai beaucoup suivi les débats sur la loi Leonetti et son évolution. Je pense également que le tiers payant généralisé est un système intéressant et bénéfique, même si bien sûr il nécessite une simplicité dans sa mise en œuvre.

WUD. Le film aborde le sujet épineux des déserts médicaux et ne manquera pas de relancer le débat sur la liberté d’installation. Avez-vous une opinion à ce sujet ?

TL. Ce que je crois, c’est qu’on ne résoudra pas le problème par la coercition. Un médecin qui n’a pas envie de travailler à la campagne trouvera le moyen d’y échapper. C’est en associant les médecins, en les aidant, que l’évolution se fera. Par ailleurs, il faudrait faire sortir les jeunes médecins des hôpitaux pendant leurs études, par exemple par le système de maisons de santé universitaires.

WUD. On imagine que sur un tournage vous pouvez être confronté à des situations, des souffrances qui pourraient être gérées avec la casquette de médecin. Cela a-t-il pu être perturbant ?

TL. Non, dans le sens où je suis et reste docteur en médecine. Même dans mon métier de cinéaste. C’est une richesse qui fait partie de moi, et je dois faire avec !

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