Il jette sur cet autoportrait une lumière souvent crue, il se décrit sans fard, et pourtant toujours avec une extrême pudeur. On l'entendrait presque s'excuser de raconter certaines anecdotes, de parler - beaucoup - d'un père impressionnant mais aussi - à peine - d'une mère révérée. Eveillant notre secret désir d'en lire beaucoup plus au sujet de l'une que de l'autre, et faisant ainsi montre d'un talent pour rester mystérieux malgré le coin du voile qu'il consent à lever, celui de son rapport à l'exercice médical. C'est un livre de cinéaste, de metteur en scène sachant parfaitement où diriger la caméra, comment cadrer son récit, nous inviter à entrevoir un hors champ tout en le laissant rigoureusement caché.
Est-ce un livre d'écrivain? Vers la fin du récit, il aborde son rapport à la littérature, à l'écriture, et souligne qu'à chaque rédaction, son sentiment d'avoir écrit quelque chose de grand se soldait par une note moyenne. Lui est restée une croyance sur lui-même, que le cinéma lui a permis de dépasser, là où la médecine semble avoir échoué à le faire. C'est peut-être cette once de complexe d'infériorité qui fait que l'oeuvre n'est pas pleinement aboutie, plus que, entre autres hypothèses alternatives, l'urgence d'écrire ou les limites du débutant. Ou bien tout simplement le fait d'avoir "écrit" le livre au dictaphone, lui donnant un aspect "langage parlé" parfois trop présent.
Qu'importe, car c'est aussi par cet usage du dictaphone qu'il nous est immédiatement familier et qu'il nous parle à nous, médecins. Et l'imaginer dans l'obscurité d'une salle de garde défraîchie ou d'un appartement déserté par ses proches dérouler peu à peu le fil de sa mémoire, en aborder les couches de plus en plus profondes, pour finir par quelques lignes déchirantes et ô combien éclairantes, le lire comme on entend une voix chuchotée, tout cela concourt à faire de la lecture de ce récit un moment immersif empreint d'humanité.
"Le Serment", par Thomas Lilti (éditions Grasset)