Témoignage d’un jeune toubib en zonzon

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« C’est 200 euros pour un smartphone »

Témoignage d’un jeune toubib en zonzon

Jeune généraliste de 30 ans, Thomas Van den Bussche exerce depuis un an à l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de Lyon Corbas (voir encadré ci-dessous), où il prend soin des prisonniers au quotidien. Récit d’une vie épanouie en cabane.


What's up Doc. Quel a été votre premier contact avec la prison ?

Thomas Van den Bussche. Lorsque j’étais en stage d’internat, j’ai demandé à faire une journée de consultation à l’infirmerie de Lyon Corbas. Là on rentre dans un monde très particulier : des barbelés partout, des murs très hauts, des portes imposantes, des bruits de clé qui résonnent dans les couloirs... C’est très impressionnant. Mais l’infirmerie est un cocon, une petite bulle au sein de la prison. C’est un milieu assez familial, avec une vraie cohésion d’équipe. Ça m’a plu, et j’ai signé pour rester.

WUD. N’est-ce pas un cadre de travail un peu sinistre ?

TVB. J’avoue que quand on rentre de vacances et qu’on est devant la prison, on se demande ce qu’on fait là ! Mais une fois à l’intérieur, pas du tout. Les histoires des gens sont très différentes : il y a des parcours de vie incroyables.

WUD. À quoi ressemble votre activité en prison ?

TVB. Ça se rapproche de l’activité ambulatoire, avec un planning, des horaires, des consultations toutes les demi-heures. La spécificité d’une maison d’arrêt, c’est que ce sont des peines courtes avec un gros turn-over. Tous les matins on a entre cinq et dix nouveaux arrivants. On leur explique le fonctionnement de l’infirmerie. On fait aussi le point sur le plan médical, des vaccins, du dépistage des MST et du cancer. Tout ce qui se fait en population générale, mais auquel ces personnes n’ont souvent pas accès.

WUD. Y a-t-il des pathologies spécifiques au milieu carcéral ?

TVB. Oui, tout à fait. Les détenus sont souvent issus de milieux socio-professionnels très défavorisés. Il y a beaucoup de personnes étrangères, avec souvent la barrière de la langue, et des pathologies propres aux migrants, comme des tuberculoses multirésistantes. Il y a un taux élevé d’hépatites et de VIH, que je ne voyais pas en médecine de ville. La gale n’est pas un mythe : on en voit toutes les semaines. On a aussi beaucoup de pathologies liées à la toxicomanie et à l’alcoolisme chronique.

WUD. Qu’en est-il de la relation avec les détenus ?

TVB. Le milieu carcéral est très violent, il y a toujours des rapports conflictuels entre détenus, ou avec les surveillants. Mais la relation patient-médecin ressemble à celle qui peut s’établir à l’extérieur. Pour ma part, je ne me suis jamais senti en danger. Parfois le ton de voix monte un peu, mais il n’y a jamais de rapport de force avec nous. Les détenus comprennent assez vite que nous ne sommes pas là pour leur mettre des bâtons dans les roues. Ils se confient beaucoup à nous.

WUD. Respecter le secret médical en prison, c’est un défi ?

TVB. Il m’est déjà arrivé qu’un surveillant écoute à la porte : j’ai cogné sa tête en sortant de mon bureau ! (Rires.) Encore hier on a dû extraire un monsieur inconscient après une bagarre en promenade. Avant la consultation, un brigadier m’a laissé entendre que ce serait bien qu’il ne sorte pas, parce qu’il lui fallait une escorte importante... Il y en a parfois qui demandent : « est-ce que je peux toucher ce détenu sans gant parce qu’on m’a dit qu’il avait le VIH ? » Ce ne sont pas des pressions énormes mais ça existe. Il faut arriver à mettre des barrières. En général ça se passe bien : on explique sans entrer dans les détails et les surveillants comprennent.

WUD. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué depuis que vous exercez ?

TVB. Je suis thésé depuis un an, mais il m’est déjà arrivé deux fois d’aller dépendre une personne dans sa cellule. C’est quelque chose qui marque dans la vie d’un médecin. La violence entre détenus est assez incroyable : les rixes sont violentes, les gens sont parfois très marqués physiquement. Il y a aussi des personnes qui nous proposent des deals : faire entrer des portables ou de la drogue dans la prison. Par exemple, c’est 200 euros pour un smartphone. Si on en rentre deux-trois par jour, ça commence à arrondir les fins de mois. (Rires.)

WUD. Que pense votre entourage de votre choix d’activité ?

TVB. La plupart ont bien réagi. Mais certains proches, pourtant médecins ou infirmières, m’ont dit que c’était dommage de soigner des gens qui ont fait des mauvaises choses plutôt que des « honnêtes gens » … J’ai été assez surpris. Si tous les gens pensaient comme ça, les détenus n’auraient pas de soins. Déjà qu’ils y ont difficilement accès à l’extérieur, on peut bien leur en prodiguer à l’intérieur !

 

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Lyon Corbas, ou les délices de la modernité

Inaugurée en 2009 pour remplacer les prisons vétustes de Lyon, la nouvelle maison d’arrêt de Corbas a été construite à distance du centre-ville, « dans une zone industrielle tout ce qu’il y a de plus sinistre », précise Thomas Van den Bussche. Comme toute maison d’arrêt, elle accueille surtout des prévenus en attente de jugement et des courtes peines (moins d’un an). « C’est un bâtiment très froid, avec des plafonds très hauts, des cours qui résonnent beaucoup, sans aucune verdure ni décoration », décrit-il. Propre et moderne, la nouvelle prison a pourtant la réputation d’être mal supportée par les détenus, surtout lorsqu’ils ont connu l’ancien système. « Ce n’est pas une rumeur », confirme le médecin. « La vie est beaucoup plus impersonnelle, de par la structure des bâtiments et parce qu’il y a beaucoup moins de surveillants par détenu ». Effectifs réduits, portes automatiques, vidéosurveillance, barquettes repas préconditionnées : une gestion rationalisée qui a pour effet – pervers ? – de minimiser les contacts humains.

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Propos recueillis par Yvan Pandelé

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