Tailleur pour âmes

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Ciné week-end : Phantom Thread, de P.T. Anderson (sortie le 14 février 2018)

Tailleur pour âmes

Reynolds Woodcock, grand couturier obsessionnel comme il se doit, voire plus, à la fois éternel playboy et vieux garçon, est un être envahi de craintes multiples, parmi lesquelles celle de voir se tarir son inspiration et son aura tient la plus grande place. Il rencontre une jeune serveuse qui va rapidement devenir sa muse. Mais celle-ci compte bien ne pas se contenter d'être un bel accessoire asservi au génie de Monsieur... Une étude de caractères incroyablement riche et souvent jouissive !

Et dire que l'on a failli passer à côté de Phantom Thread ! Alors qu'il s'agit quand même d'un génial exemple de personnalité obsessionnelle poussée à son paroxysme, avec une finesse de description qui laisse pantois. Bien sûr, le film ne se limite pas à cela. Déjà parce qu'il est réalisé par le brillantissime Paul Thomas Anderson, dont on ne se lasse pas d'admirer la perfection des plans et des mouvements de caméra. Mais aussi parce que l'intrigue, finement menée, fait que l'on ne sait jamais si l'on se trouve face à un vaudeville délicieusement rétro ou à une lutte à mort asphyxiante et féroce.

Ce "fil fantôme" qui donne son titre au film illustre bien qu'il ne s'agit pas uniquement d'une description du monde de la haute couture - tel qu'on le retrouve, à peu de choses près, dans le Yves Saint Laurent de Jalil Lespert - mais bien plus d'une connexion à un monde souterrain, à des obsessions inquiétantes qui feraient passer une névrose carabinée pour un léger stress. Les étranges manies, teintées de superstition, de Woodcock sont ainsi directement connectées à un imaginaire d'enfant hanté par la personne de la mère et par des sortilèges censés le prémunir d'on ne sait quelle malédiction : le déshonneur ? l'oubli ? ou tout simplement la mort ?

Il ne faudrait pas oublier les acolytes de Woodcock, qui forment avec lui un ménage à trois infernal : sa soeur, plus rigide que lui encore, comme pour mieux le protéger; ainsi que sa muse-esclave en quête d'affranchissement voire de domination, dont la malice et la gaieté ne la rendent que plus énigmatique. Comme deux extensions de lui-même, elles symbolisent son oscillation permanente entre une froideur corsetée et une avidité enfantine. Comme il est agréable de voir ces trois acteurs s'affronter avec une jubilation manifeste et nous offrir une partition sans faute de goût. Qu'on les connaisse, comme le toujours parfait Daniel Day-Lewis, ou qu'on les découvre, ils ressuscitent à eux trois une tradition de jeu et une expression hélas tombée en désuétude: celle de monstres sacrés. 

Et s'il ne passe plus que dans une salle... ne manquez Phantom Thread sous aucun prétexte !

Source:

Guillaume de la Chapelle

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