Syndrome de la « seconde victime » : quand les erreurs de soins impactent les soignant

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Soigner comporte en soi un paradoxe. Le serment d’Hippocrate le rappelle : « surtout ne pas nuire »… mais l’activité de soin censée être bénéfique n’est pas dénuée de risques pour le patient. De nombreux facteurs contribuent à les majorer : le turn-over des personnels, les interruptions de tâches (comme répondre à une urgence), l’intensification de l’activité, le manque de communication entre les équipes, les prises en charge complexes, les traitements agressifs, la population vieillissante…

Syndrome de la « seconde victime » : quand les erreurs de soins impactent les soignant

© IStock 

Les erreurs sont donc, malheureusement, une réalité incontournable de cette activité professionnelle. Soigner peut ainsi entraîner des « évènements indésirables graves associés aux soins » (EIGS), préjudiciables pour le patient qui en est victime. Les conséquences peuvent aller de la survenue d’un déficit fonctionnel permanent à la mise en jeu du pronostic vital voire au décès.

Un EIGS est un évènement inattendu au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne. Les plus fréquents découlent de l’administration de médicaments, des erreurs d’identités, des chutes, des infections associées aux soins. Leurs causes étant multiples et systémiques (liés à l’organisation de travail, aux compétences…), tous les soignants (médecins, personnels paramédicaux ou administratifs) peuvent être impliqués.

En 2019, la HAS a enregistré 1187 EIGS dont 51 % ont conduit au décès du patient, 33 % à une mise en jeu du pronostic vital et 16 % à un probable déficit fonctionnel permanent. Bien entendu, lorsqu’un tel évènement survient, la première victime est le patient. Mais il est une catégorie de victimes généralement insoupçonnée : le professionnel de santé qui a réalisé l’acte engendrant une complication, et qui est dans certains cas qualifié de « seconde victime ».

Dans ce rapport annuel, la HAS montre en effet que, loin du déni parfois affiché ou ressenti par les patients, dans 48 % des déclarations, l’EIGS a eu des conséquences (principalement psychologiques) pour les professionnels.

Et ces données sont en deçà de la réalité. Selon l’enquête nationale sur les évènements indésirables liés aux soins (ENEIS) de 2019, le nombre d’évènements indésirables estimé serait compris entre 160 000 et 375 000 par an. Ces chiffres sont plus élevés car l’enquête prend ici en compte l’ensemble des évènements indésirables associés aux soins, quelles que soient les conséquences pour le patient.

Le risque pour un professionnel de santé d’être impliqué dans un EIGS à un moment donné de sa carrière est donc réel. Et ce d’autant plus cette expérience est traumatisante pour le soignant mais également pour toute son équipe et l’encadrement.

« Syndrome de la seconde victime », de quoi parle-t-on ?

On parle de seconde victime pour qualifier le soignant impliqué dans la survenue d’un EIGS, d’une erreur, d’un accident. Plusieurs définitions du terme existent, mais nous pouvons retenir que le soignant devient une victime quand il est traumatisé par cet évènement : ce sont les conséquences pour lui qui rendent compte de ce « statut » de seconde victime.

La nature de ces conséquences est variée. Le soignant peut ainsi présenter des troubles du stress post-traumatique (TSPT) qui surviennent après l’évènement traumatisant et se traduisent par une souffrance morale ainsi que des complications physiques qui altèrent profondément sa vie personnelle, sociale et professionnelle.

Plusieurs troubles coexistent :

  • La culpabilité. Le soignant se sent coupable de la faute. L’erreur met à mal l’image et la valeur du soin, et cet écart est difficile à gérer. Elle est liée au regard du patient et de sa famille, des collègues, de l’équipe en fonction des conséquences et de la gravité.

  • La honte, également liée au regard du patient, de ses proches, des collègues, de l’équipe. Ce qui peut pousser le soignant à un repli sur soi, et entrave les relations sociales. Certains symptômes accompagnent ce sentiment et vont de la simple amertume à la colère, contre soi ou les autres – ce qui peut être la source d’un ressentiment.

  • L’anxiété, qui peut nuire secondairement à la qualité des soins du fait de vérifications désormais excessives, de comportements de contrôle inappropriés mais aussi par une altération de la communication entre les membres de l’équipe. La peur des erreurs futures, la perte de confiance en soi peut alors être source d’un nouvel évènement indésirable (la « troisième victime »), d’autant plus que des attitudes défensives vont altérer la communication au sein de l’équipe de professionnels de santé.

  • Les perturbations physiques, comme des troubles du sommeil, de la concentration, de la fatigue, des troubles musculo-squelettiques, la perte d’appétit.

Soulignons que tous les soignants peuvent être exposés, indépendamment du lieu d’exercice ou de la nature de leur activité. Si les risques peuvent être plus importants dans certains services, les conséquences sur le soignant sont les mêmes quel que soit le service – et pour certaines spécialités considérées comme moins porteuses de risque, un évènement sera particulièrement traumatisant.

Malgré ces symptômes graves pour la seconde victime et l’organisation des soins, 32 % des soignants impliqués dans un EIGS seulement ont bénéficié de soutien institutionnel pour les aider à gérer ce syndrome post-traumatique.

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Que deviennent les « secondes victimes »

Certaines, du fait de l’épuisement professionnel provoqué notamment par l’anxiété, se reconvertissent. Cette reconversion est liée à des réactions chroniques de stress post-traumatique mal gérées chez un soignant laissé seul face à sa culpabilité. En France, les données manquent et la part des départs en lien avec le statut de seconde victime reste inconnue.

D’autres « survivent », c’est-à-dire restent dans leur service ou dans leur institution malgré le stress et leur incapacité à laisser l’évènement traumatique derrière eux. Ils doivent composer avec des sentiments continus de culpabilité, voire de honte, et avec des pensées envahissantes et un état dépressif persistant.

La troisième voie est celle de la résilience, où le traumatisme aura alors un effet constructif. Le soignant et l’équipe deviennent capables de porter un nouveau regard sur la pratique puisque l’analyse de l’EIGS aura permis de tirer des enseignements et de grandir de cette expérience.

Cette transformation n’est possible que si une assistance psychologique spécifique (ou débriefing émotionnel, débriefing post-traumatique) est mise rapidement en place. Ainsi, la seconde victime et plus largement les membres de l’équipe sont pris en charge immédiatement par une cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) dans les premières heures de l’évènement et sur le lieu même où il s’est déroulé.

Ce soutien immédiat permet d’informer le soignant impliqué et l’équipe des symptômes susceptibles de survenir, mais aussi de l’orienter vers un accompagnement adapté – qu’il soit psychologique, social voire juridique.

En 2009, l’University of Missouri Health Care a créé un dispositif « forYOU » pour offrir un soutien émotionnel aux secondes victimes. Ce programme comprend plusieurs niveaux allant du soutien immédiat au suivi par des pairs formés à ce type de soutien et à la détection des signes de détresse, voire à l’accès à un psychologue si les souffrances perdurent.

Ce type de programme de prise en charge n’existe pas de manière aussi formalisée au sein des hôpitaux français, même si des guides spécifiques sont disponibles. Dans l'Hexagone, les ressources sont externes, et le site « Accompagnement Soignant Seconde Victime » est un outil essentiel pour la communauté des soignants.

La nécessité d’une prise de conscience

L’enjeu majeur repose sur la prise de conscience que l’activité de soins contient en elle-même une part de risque. Le soignant doit apprendre à déconstruire le mythe des « héros en blouse blanche » qui ne doivent pas faillir et identifier les risques. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut se pencher sur ses processus de prévention, et de traitement quand ils surviennent.

Les hôpitaux ont une politique de gestion de prévention et de détection des risques. Ceux en lien avec l’activité de soins sont identifiés a priori, permettant la mise en place d’actions de prévention quels que soient les services.

Quand l’EIGS survient, il est nécessaire alors d’en analyser les causes collectivement : l’équipe doit comprendre ce qui s’est passé, analyser les éléments contributifs à la survenue de l’erreur, réfléchir ensemble aux actions à mener et donner du sens à ce qui s’est produit. Cette analyse, appelé Revue de Morbi-mortalité (RMM), permet de tirer des leçons de l’évènement indésirable grave pour le transformer en apprentissage et ainsi capitaliser de l’expérience. L’organisation devient résiliente par sa capacité d’appropriation et de dépassement de l’évènement.

De plus, il est démontré que plus on agit sur les incidents mineurs, plus le risque de connaître un accident grave diminue. D’où l’importance de la déclaration des « presqu’accidents », même s’ils ne portent pas à conséquence. Soulignons que les soignants sont soumis à une obligation légale de déclarer la survenue des évènements indésirables graves.

Ces démarches sont source d’apprentissage et ont l’avantage de traiter des risques en amont pour éviter la survenue de l’EIGS – et donc le phénomène de seconde victime.

Si le phénomène est bien documenté dans les systèmes de soins anglo-saxons, il reste méconnu dans le contexte français. Des études visant à mieux caractériser les conséquences sur les professionnels et les équipes sont en cours… et prennent tout leur sens dans un contexte de crise conjoncturelle (liée au Covid-19) et structurelle (environnement de travail dégradé).

Selon la Fédération hospitalière de France, tous les hôpitaux sont touchés par des pénuries de personnel : 2 à 5 % des postes seraient vacants. Les raisons sont multifactorielles et ne sont malheureusement pas étudiées. Impossible, dès lors, de connaître l’ampleur de l’impact du syndrome sur des effectifs durement éprouvés.


Titulaire d’un master en santé publique spécialité Qualité des soins, Stéphanie Joyeux est chargée d’enseignement Santé publique à l’Institut de Formation des Cadres de Santé de l’AP-HP. Elle a co-écrit ce texte avec David Naudin.The Conversation

David Naudin, Coordonnateur du Pôle de la Recherche Paramédicale en Pédagogie du CFDC PhD - Laboratoire Éducations et Pratiques en Santé (LEPS UR 3412), AP-HP, Université Sorbonne Paris Nord

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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