Santé publique ennemie

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Critique de "L'oubli que nous serons", de Fernando Trueba (sortie le 9 juin 2021)

Santé publique ennemie

Années 70. En Colombie, à Medellin, le docteur Hector Abad Gomez constate que la misère est la principale pourvoyeuse de maladies. Assainissement des eaux usées qui desservent les bidonvilles, campagnes de vaccination...sont autant de comabts qui font que ce médecin hygiéniste, l'un des pères de la santé publique en Amérique latine, va inéluctablement devenir un opposant politique admiré et, dès lors, menacé. De ce matériau passionnant, Fernando Trueba tire un récit hélas très inégal.

En adaptant la biographie d'un homme de bien par son fils, Fernando Trueba pouvait choisir de se libérer de cette filiation, de cette subjectivité qui semble grandement l'encombrer en tant que metteur en scène. A moins que, lui aussi gagné par une admiration quasiment dévote pour ce saint laïc, il n'ait pas eu de désir autre que celui de narrer son destin, faisant de sa caméra une simple décalcomanie de pages de souvenirs. Non pas qu'il ne sache pas y faire, mais chaque procédé qu'il utilise est si grossier qu'il ne permet jamais à l'oeuvre d'accéder à autre chose que ce qu'il veut à tout prix nous montrer. Ainsi l'usage de la couleur ou du noir et blanc, de la musique ou des silences, viennent très lourdement marquer voire précéder des ruptures de ton dès lors lisibles. Ce didactisme cinématographique vient lisser le portrait d'un homme que l'on sent plus complexe qu'il en a l'air.

Si Trueba avait approfondi la description des combats de cet homme, de la situation sociale et politique de son pays, il ne nous aurait pas seulement permis de mieux comprendre le médecin qu'il était et le système dans lequel il exerçait - après tout, il n'est pour rien au fait que nous connaissions si peu la Colombie! Il aurait pu conduire le film vers la fresque sociale, politique et historique qui est toujours sur le point de naître mais qui n'est à chaque fois qu'effleurée, sauf peut-être dans la dernière demi-heure. Au lieu de cela, nous avons droit à l'histoire d'une relation entre un père et son fils, certes belle, mais tout sauf neuve. Quand Marcel Pagnol racontait la gloire de son père, le regard de l'enfant était constamment accompagné du commentaire de l'adulte. Dans l'Oubli que nous serons, c'est précisément ce regard qui enferme et qui restreint. 

Le film est probablement sauvé par l'étonnant écho qu'il trouve dans notre actualité. En ces temps complotistes où les gourous méditerranéens sont les nouvelles figures populaires de la médecine, il est en effet totalement urgent de découvrir l'histoire de cet homme qui, parce qu'il n'avait d'autre ambition que celle d'utiliser la science pour donner aux gens une chance d'échapper au destin tracé par leur condition, est devenu peu à peu, et presque contre son gré, un acteur engagé de la vie politique de son pays. L'inverse du narcissisme, en somme. A défaut d'autres moyens de faire sa connaissance, ce film reste une bonne porte d'entrée pour cela.

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