Rêves partis

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Ciné week-end: Cemetery of Splendour, de A. Weerasethakul (sortie le 2 septembre 2015)

Rêves partis

Il est devenu extrêmement rare, de nos jours, d'assister à une merveille de cinéma. C'est d'autant plus plaisant quand la fascination repose en grande partie sur le pouvoir évocateur de la mise en scène.

Comment résumer cette expérience sans en atténuer l'enchantement? En énonçant quelques mises en garde tout d'abord: même s'il s'agit probablement de son film le plus cohérent et le plus accessible, le cinéma d'Apichatpong Weerasethakul est aussi exigeant que l'orthographe de son nom; et s'il peut être regardé dans un état de transe hypnotique ou de zen absolu, il gagne encore plus à entraîner chez le spectateur la quête d'un lien secret, celui qui unit son héroïne boîteuse à l'âme de son pays, ou encore un cimetière ancestral à une compagnie du câble.

Il faut se laisser porter par le fond sonore, entrailles joyeuses d'une nature exotique, qui dès l'ouverture nous charme pour nous mener vers les origines souterraines, tout à la fois profondément intimes et connectées à l'âme collective d'une culture, de cette petite femme boîteuse d'une drôlerie irrésistible qui, portée par sa solitude, échoue au beau milieu de cet hôpital où l'on prend soin de ces soldats sans trop s'en faire, en testant les dispositifs médicaux dernier cri empruntés à l'oncle Sam. Il faut l'accompagner sur les lieux de son enfance et fouler avec elle les décombres d'un paradis à la fois perdu à jamais et toujours vivant.

 Chaque plan séquence est une leçon de cinéma, chaque lieu est filmé sous un angle propre à en déceler l'étrangeté, à en débusquer l'incongru, constituant à partir de cette somme de décors a priori familiers une cartographie du rêve. 

Mais qui rêve, au final? Sont-ce les soldats lassés de faire la guerre pour un pays qui a perdu la tête et dont l'unité semble reposer sur un patriotisme de pacotille? Est-ce Jenjira, magnifique héroïne incarnant prodigieusement, et en nous tirant quelques larmes d'émotion pure, la quête d'absolu, de rencontre de soi à travers l'Autre? Ou peut-être, finalement, est-ce le spectateur qui, installé au coeur de ce panthéon des dieux du cinéma, de ce dispositif le faisant retourner aux fondamentaux de l'expérience sensorielle et intellectuelle, est pris au piège de l'hallucination collective que tout film se devrait d'engendrer - ce qui nous est rappelé au détour d'une mise en abîme fort comique.

Sans aucun doute le chef-d'oeuvre de cette année....

Source:

Guillaume de la Chapelle

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