Racines au carré

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Ciné week-end : Carré 35, d'Éric Caravaca (sortie le 1er novembre 2017)

Racines au carré

Alors qu'il se recueille dans un cimetière auprès du "carré des enfants", Eric Caravaca est saisi d'un immense chagrin. Pressentant le mensonge sur lequel s'est construit le récit familial, il amibtionne de lever le voile sur un passé que ses parents lui ont toujours tu. Et nous offre un film tout simplement bouleversant.

Sorti sur les écrans le jour de la Toussaint - l'inconscient est un bon attaché de presse - Carré 35 est un documentaire fulgurant, la synthèse admirable d'un travail généalogique, historique et thérapeutique. Un éloge de la figure du fantôme qui, même si tout a été fait pour effacer les traces de son passage sur terre, s'immisce et infuse dans la destinée de ceux qui lui succèdent. 

Ce fantôme, c'est Christine, la soeur aînée de l'acteur Eric Caravaca. Une soeur qu'il n'a jamais connue et dont il ignorait jusqu'alors l'existence. Dans cette famille où les prénoms sont changeants et où les dates de naissance et de disparition ne sont jamais certaines, il semblait si facile d'oublier que Christine vécût. En cette période troublée de l'histoire - les fameux "événements" qui aboutiront à la décolonisation - il paraissait si nécessaire d'enfouir au plus profond de sa mémoire, jusqu'au néant, tout souvenir du passé, même si au passage le flot du refoulement devait charrier et engloutir l'existence et la mort d'une petite fille.

Caravaca raconte authentiquement et simplement sa quête, et la succession des étapes qu'il traverse pour cela illustre à quel point la réparation passe par la confrontation non pas à la vérité - nous sommes si loin d'un quelconque jugement - mais à la mémoire. Débutant de façon frontale et presque impudique, le film évolue vers des séquences plus délicates, Caravaca se montrant de plus en plus empathique envers ses personnages - c'est-à-dire ses propres parents ! A l'opposé d'un règlement de comptes, nous assistons à une reconstruction identitaire et familiale.

Au coeur du film, un couple douloureux, une énigme, une antithèse devenant synthèse, au sein de laquelle une rupture définitive peut aboutir à une réunion : Christine, l'absente, source involontaire de douleur et de honte; et sa mère, catalyseur du déni, actrice et scénariste involontaire d'un canevas familial répétitif, et dont l'omniprésence semble uniquement lui servir de moyen de survie à l'absence de "ses" morts. Deux portraits en creux pour une réhabilitation : celle de la souffrance, par-delà les errances auxquelles elle conduit ceux qui y sont confrontés. En somme, la reconnaître pour espérer stopper sa course.

Source:

Guillaume de la Chapelle

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