What’s up Doc : Pourquoi avez-vous choisi la gestion des complications comme thème principal pour #SOFCOT24 ?
Henri Migaud : C’est un thème rarement abordé qui n’est presque jamais enseigné à la faculté de médecine. Et de ce fait, quand un médecin se retrouve face à sa première complication, il ne sait pas forcément la gérer de manière optimale.
Pourtant dans la « vraie vie », la gestion des complications, sur le plan médical comme sur le plan humain et de la sinistralité, peut conduire à des désastres. Outre les conséquences médicales, il y a des conséquences psychologiques, les conséquences sur le plan assurantiel, des déclarations, parfois des procès.
Donc il est très important de gérer collectivement et avec méthode les complications et savoir en faire l'annonce. La gestion médicale, on nous l’apprend à peu près, mais la gestion du malade, on ne nous l’a jamais apprise, même s’il y a des progrès récents dans l’enseignement à la faculté.
Est-ce-que tout chirurgien orthopédiste fait face dans sa carrière à des complications ?
HM. C'est obligatoire. En chirurgie orthopédique et plus largement dans toute la profession médicale, le 100 % de réussite n’existe pas. Aucun acte de chirurgie n’est réalisé sans un risque minimum d’échec ou de complication.
Après, toutes les complications ne vont pas jusqu'à la sinistralité assurantielle, mais elles peuvent y conduire en cas de mauvaise gestion. D’ailleurs, un chirurgien orthopédiste en France est exposé en moyenne à un sinistre assurantiel tous les 36 mois, d’où l’importance de la prévention et de la formation. Lorsqu’une complication survient il faut savoir la gérer d’où l’importance de ce thème au congrès SoFCOT 2024.
« Gérer une complication c’est comme gérer une avarie dans un avion. Il faut un chef d’orchestre qui donne le tempo »
Comment allez-vous traiter ce sujet à la SoFCOT ?
HM. Nous allons organiser une table ronde interactive, de façon très pragmatique. Nous allons réunir un jeune orthopédiste du CJO, une cadre de soin, un anesthésiste, un spécialiste assurantiel, une représentante des associations de malades. Puis nous allons choisir des cas pratiques, mettre l’assistance et les intervenants en situation. La salle pourra participer, nous allons organiser des votes, des sondages avec quelques QCM. Il y aura un système de vote électronique. Qu’auriez-vous fait dans telle ou telle situation ? Nous apprécierons comment l’assistance réagit, et nous pourrons ainsi nous adapter. L’objectif est de souligner les grandes erreurs à ne pas commettre et les quelques « trucs et astuces ».
Et quelles sont les stratégies à recommander aux chirurgiens ?
HM. Gérer une complication c’est comme gérer une avarie dans un avion. Il faut un chef d’orchestre qui donne le tempo et une équipe qui suit en harmonie et sans fausse note : la confiance du patient et de la famille en dépend.
Un principe simple que m'avait enseigné mon patron Antoine Duquennoy : quand on a une complication, une des premières choses faire, c'est d'appeler le médecin traitant pour le tenir informé, puis de maintenir ce relai tout au long de la gestion de la complication et ne pas se limiter à la lettre de sortie. Ainsi le médecin traitant est valorisé et se trouve conforté dans la chaine de soin avec un rôle essentiel de relai pour la diffusion d’une information juste et précise auprès de la famille.
Car parfois la famille ne comprend pas bien la complication et le patient souvent encore moins, pris par l’inquiétude. Ils voient le chirurgien le soir, parfois l’anesthésiste avec une information différente, tout le monde est fatigué. Le médecin traitant est le support essentiel de diffusion de l'information et de synthèse auprès de la famille.
« Le sujet des complications n’est pas tabou, mais renvoie le chirurgien à la souffrance du patient, à l’échec et à sa possible responsabilité »
Est-ce que les complications sont un sujet tabou en chirurgie ?
HM. Ce n’est pas un tabou mais cela renvoie le praticien à la souffrance du patient, à l’échec et à sa possible responsabilité. Les médecins n'aiment pas parler de cela. Et pourtant il faut savoir en parler car on apprend souvent beaucoup plus de ses échecs que de ses réussites. Peu importe la forme mais il faut en parler et savoir échanger : parfois autour d'une bonne bière parfois en staff en RMM...
Il faut améliorer sa prise en charge sur le plan relationnel avec le patient. C’est un problème d'éducation, d'empathie. Certains médecins qui sont faits pour ça, d’autres ont moins la fibre.
En tant que chef de service dans un CHU, je dois gérer mes propres complications et les complications des membres du staff et en particulier des plus jeunes. Parfois l'interne a déjà mis le doigt dans un engrenage défavorable avec la famille et ça ne se passe pas bien. On se retrouve dans une situation compliquée. Notre rôle de chef de service est d'enseigner et de transmettre aux plus jeunes la façon de gérer les complications.
Et quelle est la plus grosse erreur dans la gestion d’une complication ?
HM. Il faut être juste et rassurant. Il ne faut surtout pas se dédouaner : dire ce n'est pas de ma faute, c'est la faute de l'autre et pire encore dire que c’est la faute du patient. Celui qui fait ça, va dans le mur, parce que le malade perd confiance.
Alors que si vous expliquez, avec des mots simples : il y a eu telle complication, je sais comment faire, on va gérer, je vais vous tenir informé, vous, votre famille et votre médecin traitant. Là, vous savez que vous allez garder la confiance du patient. Il faut de l'empathie et de la compréhension en plus de la bonne gestion médicale de la complication.
« En cas de complication, le rôle du chirurgien est aussi de gérer le service autour, pour une information homogène »
Donc la gestion de la complication passe par la communication ?
HM. Tout à fait avec le patient, sa famille, le médecin traitant.
Et le rôle du chirurgien, c’est aussi de gérer le service autour. L’information doit être claire et homogène, car si chacun donne une version différente, il va y avoir perte de confiance. La gestion d’une complication nécessite donc la mise en œuvre d’une action collective coordonnée et empathique au service du patient donc vous devez gérer l'encadrement et le staff médical et paramédical pour que tout le monde aille dans le même sens.
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Avec ce genre de thématique forte en tant que président de la SoFCOT, vous vous sentez pleinement dans votre rôle de transmission ?
HM. C'est le but. L’essentiel c’est d’en parler. Il n’y a pas de chirurgie sans complication. Il faut retirer la peur. Il faut faire de la prévention, mais une fois que c'est arrivé, la peur n’a plus sa place, c'est l'empathie et la relation humaine avec le patient qui sont essentielles. Il faut aussi rappeler que la prévention reste le meilleur instrument pour lutter contre les complications et que la délivrance d’une information éclairée et précise avant toute intervention est une obligation qui permet de créer un climat de confiance avec le malade et sa famille.