Poussez pas dans l'ambulance

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Critique de "Give Me Liberty" de Kirill Mikhanovsky, sortie le 24 juillet 2019.

Poussez pas dans l'ambulance
Un jeune ambulancier d'origine russe se voit obligé de conduire dans son outil de travail son grand-père sénile, avec qui il vit, ainsi que toute sa bande de camarades d'exil, aux obsèques d'une des leurs. Au même moment, des manifestations éclatent dans la ville... Un miracle de comédie, d'humanité, de sensibilité...bref de cinéma. 

"Give me liberty, or give me death!", clamait un révolutionnaire américain à l'époque des Pères Fondateurs. Plusieurs siècles après, et plus singulièrement depuis l'avènement d'un Père Destructeur à la tête de l'Empire américain, que reste-t-il de cette promesse, de ce cadeau ? Cette liberté constitue-t-elle un legs suffisant pour tous ses héritiers, migrants et exilés de notre ère moderne? C'est ce que semble nous demander Kirill Mikhanovsky avec ce beau et simple film. Dans Give Me Liberty, il est avant tout question de transmission, de tout ce que peuvent avoir d'encombrant et de précieux nos racines, de tout ce que peut représenter d'angoissant et de douloureux l'incertitude de l'intégration. Mais aussi de la beauté de la différence, de la fécondité du conflit. 

Vic, interprété de façon magnifique par Chris Galust, jeune débutant alliant charisme et humilité, ne sait pas trop bien où aller dans la vie. S'occuper de son grand-père, de plus en plus sénile, semble être une façon de ne pas avoir à regarder trop loin devant soi. Sa mère aurait voulu pour lui une carrière éclatante, lui se contente d'un petit boulot d'ambulancier qu'il effectue toujours sur la brèche. Vic est habité de l'intranquillité de la seconde génération, celle qui connaît trop bien le pays d'accueil de ses parents pour encore se nourrir d'idéal. Au contact des laissés pour compte de l'Amérique, ces handicapés qu'il doit transporter quotidiennement, Vic va découvrir des gens qui lui ressemblent. Et qui ressemblent à sa famille. Russes ou Afro-Américains, chacun tente de survivre grâce à ce que lui ont transmis ses ancêtres, malgré les traumatismes de la vie, nombreux au point d'évoquer une malédiction. Car oui, l'immigration n'est jamais un choix facile et est un chemin jalonné de deuils, de ruptures et de heurts avec la société "accueillante". 

Au moyen d'un rythme syncopé, d'un décalage constant entre ce qui est montré et ce qui est dit, Mikhanovsky touche à l'essentiel, et à partir du burlesque de son point de départ s'envole avec une rare facilité vers des sommets de complexité, faisant se rencontrer, comme une évidence, la routine un peu pathétique de ces immigrés russes cultivant un certain goût pour le malheur et la violence des tensions raciales actuelles. À l'image de Vic, effacé au début mais autour duquel le film gravite de plus en plus, Give Me Liberty acquiert ainsi une densité insoupçonnée, et touche durablement en plein cœur. Vous rirez, vous pleurerez, vous ressentirez l'angoisse et l'exaltation d'être vivant. Bref ne le manquez pas...

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