Nuit djihadique

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Critique de "L'Adieu à la Nuit", de André Téchiné (sortie le 24 avril 2019).

Nuit djihadique
Muriel, éleveuse de chevaux à la campagne, accueille dans son domaine Alex, son petit-fils, qui s'apprête à partir vivre quelques temps au Canada. Alex est tourmenté. Alex a des secrets. Alex ne compte pas partir au Canada, mais en Syrie... Récit clinique d'une radicalisation, le film de Téchiné remplit sa mission. C'est déjà bien assez, mais c'est presque trop peu.

Il y a réunis dans le nouvel opus de Téchiné tous les ingrédients pour faire un grand film. Le sujet d'abord, qui semble presque daté, ce qui ne le rend que plus actuel, tant la baisse de vigilance serait dangereuse : la radicalisation islamiste de jeunes Français aux prises avec un vide existentiel qu'une société ultra-matérialiste ne parvient plus à combler. Le savoir-faire du monsieur, ensuite : question jeunesse, Téchiné n'a pas son pareil pour en cerner la complexité et les mystères - rappelons-nous des Roseaux Sauvages ou, plus récemment, de Quand on a dix-sept ans. Le casting réuni, enfin : voir Deneuve dans un rôle de grand-mère combattante, terriblement actuelle, ne peut manquer d'exciter notre curiosité. 

Peut-être attendait-on trop de ce film. Mais la recette, bien exécutée, ne donne au final pas le mets d'exception que l'on escomptait. On n'a pourtant pas grand chose à reprocher à cet Adieu à la nuit - quel magnifique titre... - qui démarre par des plans d'une poésie que l'on retrouvera bien peu tout au long de ce chemin vers l'enfer du djihad qui contraste avec la quiétude de la campagne occitane. Il aurait probablement été très casse-gueule d'introduire du lyrisme ou du mélo dans ce récit tristement initiatique. Téchiné préfère une description factuelle, vraisemblablement documentée, délivrant une succession de scènes dont on n'a guère le temps d'apprécier la beauté aride. Ceci donne au film un rythme qui ne cadre pas totalement avec le contenu, que l'on aurait aimé habité par plus de moments d'introspection ou de partage. Et puis, on comprend...

On comprend qu'avec une telle histoire, Téchiné ne pouvait que se heurter à la morbidité contagieuse de ses jeunes personnages, à leur incapacité à être dans la vie. Ce handicap de l'éprouvé qui les guide vers le pire, les frontières de l'humanité. Peu d'émotion, un détachement quasi délirant, qui font barrière à une empathie que Téchiné ressent sans doute, mais sans nous la communiquer. Le malaise est si présent que le film, malgré les élans d'une Catherine Deneuve toujours juste, se laisse de moins en moins regarder. Le manque de souffle empêche d'être réellement pris par l'histoire, dont on perçoit du coup, et de plus en plus, la banalité. 

Au final, Téchiné se retrouve un peu empêtré avec son matériau. Au milieu du gué. Tout comme il n'arrive pas réellement à se décider entre suivre cette grand-mère courage ou bien se concentrer sur cet ado ombrageux qui s'apparente au soleil noir des premières images. À force de naviguer entre eux deux, on ne parvient jamais réellement à inscrire nos pas de spectateurs dans les leurs. Comme eux n'arrivent pas à être en relation, en somme. Trop peu exploité, ce duo donne cependant au film ses meilleures scènes et une juste pudeur, comme cette façon qu'a Muriel de chercher à capter le regard de ce petit-fils si lointain pour détourner le sien aussitôt qu'elle y parvient. Et persistent toujours, au milieu de cette morne description de notre monde contemporain, des éclairs de poésie d'une beauté subjugante, à l'image de ce sanglier dont la menace sourde se fait annonciatrice et métaphorique, de ce cimetière marin rejeté par Alex, ou encore de ce retraité atrabilaire qui éructe à la jeunesse la douleur de sa nuit à lui...

A vous de vous faire votre opinion sur ce film qui reste à voir - malgré nos réserves...

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