Mon médecin, mon jumeau numérique et moi

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La médecine personnalisée prend une nouvelle dimension avec le concept de « jumeau numérique ». Ce double, acquis par accumulation de données sur une personne, permet de tester des traitements, voire de prédire l’évolution de certaines pathologies. Plusieurs applications cliniques sont en cours de développement avec, en perspective, d’innombrables possibilités pour la recherche « in silico »*.

Mon médecin, mon jumeau numérique et moi

Avec les digital twins (jumeaux numériques), plus besoin de jouer aux Sims pour avoir son avatar personnel ! Même principe de simulation, mais pas de jeu là-dedans. Un jumeau numérique est une copie très fidèle de vous-même, avec les mêmes facteurs de risques, les mêmes problèmes de santé, les mêmes artères tortueuses, sur qui vont pouvoir être pratiqués en toute sécurité, des opérations virtuelles ou des traitements médicamenteux par exemple.

 

La simulation numérique, utilisée depuis des dizaines d’années dans le monde de l’industrie automobile, de l’aéronautique ou encore de l’énergie, fait son entrée dans le domaine de la santé. Le principe est simple : un logiciel est développé pour répondre à une problématique donnée (création d’un objet, validation d’un processus…). On y entre des informations propres à un cas particulier et l’ordinateur teste des milliers de combinaisons pour évaluer la réponse spécifique du cas traité à différentes contraintes.
 

Prenons un exemple : un patient a un anévrysme aortique, que son médecin veut opérer. Pour cela, il faut fabriquer une endoprothèse de taille et de forme personnalisée, avec parfois des fenêtres adaptées à la disposition des artères qui naissent de l’aorte. Il faut aussi étudier le passage de cette endoprothèse dans le système vasculaire du patient, et son déploiement in situ. « Après des années de recherche, nous sommes arrivés à développer un logiciel qui reproduit le comportement d’une endoprothèse virtuelle au sein du système vasculaire particulier d’un patient, modélisé en 3 dimensions à partir d’un simple scanner. Cela permet de dimensionner l’endoprothèse de manière beaucoup plus précise qu’avant, où nous n’avions qu’un papier, un crayon et notre expérience pour imaginer l’interaction entre l’endoprothèse et l’anévrysme », explique le Pr Jean-Noël Albertini, chirurgien vasculaire à Saint-Étienne et cofondateur avec Stéphane Avril et David Perrin, ingénieurs des Mines, de la start-up Predisurge. « Nous étions régulièrement confrontés au cours des interventions à des problèmes liés aux approximations faites. La simulation numérique permet non seulement de dessiner beaucoup plus rapidement une endoprothèse adaptée – en 24 heures au lieu de trois semaines pour le processus habituel –, mais elle permet également d’obtenir des résultats plus précis, et surtout d’anticiper les problèmes qui peuvent survenir pendant l’intervention, et de prendre les mesures nécessaires en amont. »
 

Selon Thierry Marchal, directeur mondial de la branche Santé d’ANSYS, qui propose des logiciels de simulation numérique, et secrétaire général de l’Alliance Avicenna qui promeut la simulation numérique au niveau européen, la part des essais réalisés « in silico » va augmenter au cours des prochaines années. Cela permettra une réduction des phases de tests in vitro, sur animal, et in vivo. « Cette évolution va permettre une réduction importante des coûts de la recherche, mais aussi une augmentation de la sécurité pour les patients, car au lieu de tests réalisés sur une petite population spécifique (hommes d’âge moyen, caucasiens), ils pourront être réalisés sur des millions de patients virtuels, notamment des femmes et des enfants. »

Thierry Marchal souligne que la FDA a déjà validé la simulation numérique comme seule méthode d’évaluation efficace de l’interaction entre une prothèse et une IRM.

« Pour aller vers la conception de jumeau numérique global, il va falloir faire en sorte que celui-ci vive les mêmes choses que le patient, et pour cela les objets connectés seront un bon moyen de recueillir des données en temps réel », explique Thierry Marchal. « C’est la prochaine révolution en médecine, ça va révolutionner toutes les spécialités », s’enthousiasme Jean-Daniel Albertini. « Les capacités de prédiction pour un patient donné vont croître très vite en couplant la simulation numérique à l’intelligence artificielle. Quand on verra un patient en consultation on aura des informations assez précises sur son évolution, en termes de complications, d’espérance de vie, de faisabilité et d’efficacité d’une chirurgie ou d’une chimiothérapie par exemple, ce qui permettra de prendre des décisions thérapeutiques vraiment personnalisées. » Pour Thierry Marchal, à terme, « le patient ne paiera plus pour être soigné, mais pour rester en bonne santé » !

* in silico par analogie avec in vitro/vivo : élaboration de modèles sur ordinateur

  

Les développements des digital twins

Les jumeaux numériques sont pour l’instant essentiellement utilisés dans le domaine de la chirurgie, avec la création de start-up associées : neurochirurgie pour la mise en place de stents personnalisés à Montpellier (Sim&cure), chirurgie vasculaire mêlant simulation et réalité augmentée à Rennes (Therenva), orthopédie pour la planification et la décision thérapeutique (Digital Orthopaedics)…

Mais elle est aussi au cœur de nombreuses recherches dans le domaine de la santé : conception d’appareils de flux d’air dans les blocs pour limiter les infections peropératoires, design de prothèses articulaires selon la morphologie et le type de mouvements réalisés par un patient, développement de dispositifs de délivrance de vaccins par voie intra-nasale, modélisation d’organes de synthèse remplaçant les greffes…

 

 

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