Mesquins de campagne

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Les rapports entre le médecin et l’argent ont été peu étudiés au cinéma, si ce n’est sous forme de clichés ou de running gags ciblant une caste sociale. Deux films sortent toutefois du lot pour analyser l'influence du portefeuille sur l'exercice.

Mesquins de campagne


Le corbeau
, de Henri-Georges Clouzot, et Sept morts sur ordonnance, de Jacques Rouffio, sont des films qui ont marqué leur époque. L’un d’entre eux a même marqué l’histoire du cinéma. Ils ont tenté d’approfondir nos turpitudes, dont l’argent et la soif de pouvoir restent les vecteurs les plus puissants, et ont pour point commun d’être tirés de faits réels. Une garantie qui ne suffit pas à en faire des films réalistes… Analyse comparée.

1943 : Le corbeau, de Henri-Georges Clouzot

L’histoire. Dans une petite ville de province, un médecin est accusé anonymement de pratiques abortives. Ce n’est que le début d’une avalanche de dénonciations calomnieuses orchestrées par un mystérieux « corbeau »…

Le thème. Ville dans la ville, l’hôpital local représente déjà à l’époque un concentré de tout ce qu’une société a d’inavouable : avortement, euthanasie ou encore toxicomanie et détournement de médicaments… Point de départ idéal à la propagation du brasier qui, dans ce film, finira par confronter la communauté à ses maux – pour mieux l’assainir ? –, l’hôpital semble également en être la possible rédemption.

Les médecins. Pour représenter l’âme humaine dans sa dimension janusienne, Clouzot a choisi la figure du médecin. Disposant d’un pouvoir plus puissant que l’argent, celui de pénétrer les alcôves, il est le témoin privilégié et souvent impuissant des bassesses et des douleurs qui s’y expriment. Confronté à un dilemme permanent, celui des limites de son intervention, il semble être le plus à même d’aider, voire d’émanciper ses congénères, comme le plus à risque de sombrer du côté obscur de la force. En témoigne la sublime scène expressionniste de la confrontation, toute en clair-obscur, entre le jeune et torturé Dr Germain et son aîné, le roublard et inquiétant Dr Vorzet.

La critique.Taxé injustement de propagande collaborationniste, ce film est un cas d’école de par l’alchimie parfaite entre un scénario rondement mené, une thématique exigeante et fouillée – le relativisme moral – et une mise en scène ahurissante. Un chef-d’œuvre intemporel !

LA RÉPLIQUE.  « VOUS CROYEZ QUE LE BIEN  C’EST LA LUMIÈRE, ET L’OMBRE LE MAL… MAIS OÙ EST L’OMBRE ? LA LUMIÈRE ? » (La scène de l’ampoule bien sûr, lâchée par un pierre larquey à l’abyssale complexité)

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1975 : Sept morts sur ordonnance, de Jacques Rouffio

L’histoire. Le Pr Brézé semble contrôler la petite ville de province dont il a été maire comme il gère sa clinique familiale : en chef de clan. A dix années d’intervalle, il va se retrouver confronté à des chirurgiens dont le talent et la volonté d’indépendance représentent une menace pour son pouvoir…

Le thème. Il n’y a pas si longtemps, les cliniques étaient un terrain de jeu formidable pour des médecins narcissiques ou psychopathes, en mal de pouvoir ou d’argent. Forcément, il arrivait que ça finisse mal. Façon western, vendetta ou suicide.

Les médecins. Monument du cinéma français, Charles Vanel interprète une caricature de mandarin du privé qui, via le Conseil de l’Ordre, a le pouvoir de faire et surtout de défaire les plus brillantes carrières. Se servant des faiblesses physiques ou morales de collègues qui le confrontent, par leur jeunesse et leur supériorité technique, à la médiocrité de son entreprise familiale et surtout à un déclin dont il refuse l’inéluctabilité, il est prêt à tout pour ne céder aucune parcelle de l’empire qu’il s’est construit. Face à lui, ses victimes : Depardieu, qui surjoue un chirurgien bipolaire et narcissique dont l’anticonformisme cache mal la soif de reconnaissance, et Piccoli, qui interprète mollement son exact contraire, un fonctionnaire du public modeste et dévoué. A leurs côtés, un ami apparemment sincère mais pourtant trouble : normal, il est psychiatre !

La critique. Emblématique d’un cinéma pompeux tant dans sa forme que dans sa volonté de s’emparer de grands dossiers de société, le film est incroyablement daté et difficilement regardable. Témoin d’une époque où le secteur privé était avant tout régi par des fortunes familiales, il ne réussit pas, en raison de son simplisme, à transmettre la complexité du message qu’il véhicule. Il y avait pourtant matière : faille narcissique du médecin, burn-out et harcèlement étaient des thèmes précurseurs. Mais la dénonciation du médecin petit bourgeois préempteur de son pré carré emporte tout sur son passage.

LA RÉPLIQUE. « VOUS ÊTES UN SALAUD ! NON. J’SUIS PSYCHIATRE »

 

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