Médecine : les médicaments ont de beaux jours devant eux

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Médecine : les médicaments ont de beaux jours devant eux

Dans le cadre du séminaire mensuel « Anticiper le futur de la santé », organisé à l’Hôpital Saint-Louis (Paris), l’Espace éthique Ile-de-France s’est interrogé sur la possibilité d’une médecine sans médicament. What’s Up Doc y était.

Une médecine sans médicament, ça n’est pas pour demain. « L’obstacle majeur est l’omniprésence de l’industrie pharmaceutique dans la santé », note d’emblée Anne Véga, anthropologue et membre du projet CORSAC (1). « Il s’agit du 3ème secteur industriel en France. 100 000 emplois en dépendent. » Et les labos ne se contentent pas d’être là, ils agissent. « Aujourd’hui, 75 % de la recherche clinique se réalise via ces industriels. Ils coordonnent et aménagent les résultats en fonction de leurs intérêts », rappelle Anne Véga. Au final, la France dépense davantage en consommation pharmaceutique que ses voisins et ce sans que l’état de santé de sa population soit significativement différent.

Pire, l’influence pharmaceutique démarre au biberon. « Les industriels influencent la prescription de médicaments car ils sont présents dans les facultés de médecine », note l’anthropologue. En ce sens, une étude parue début janvier dans la revue Plos One s’est intéressée à l’indépendance des étudiants vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques. Résultat, en France, seuls neuf facultés sur 37 ont pris des initiatives pour se prémunir contre les conflits d’intérêts éventuels.

Des médecins accros aux ordonnances 

Au final, c’est une véritable culture du médicament qui s’est développée en France. « En médecine générale, 8 consultations sur 10 aboutissent à une prescription avec une moyenne de 2,9 médicaments par patient », affirme Anne Vega. Autre exemple, en Ephad, chaque résident ingurgite en moyenne 8 médicaments par jour. Pourtant, l’anthropologue est claire : non, les patients ne sont pas des drogués aux petites pilules. « Les malades sont beaucoup plus soucieux des contre-indications, effets indésirables et interactions médicamenteuses qu’avant. »
 

En réalité, ce sont plutôt les médecins eux-mêmes qui sont accros aux médocs. « Les français sont de tradition positiviste. Ils sont convaincus par les produits scientifiques et croient aux progrès constants dans les traitements médicamenteux », assure l’anthropologue. « Nous avons longtemps cru que les progrès biomédicaux allait éradiquer toutes les maladies. » À  cela, s’ajouterait une tendance à sous-estimer les effets iatrogènes des produits médicaux.

Autre cause, certains médecins ont des œillères. « Les médecins sont peu formés à travailler avec les patients et leurs proches », regrette Anna Vega. « Les malades ont peu de temps pour exposer leurs problèmes et sont peu écoutés. » D’ailleurs, les gros et moyens prescripteurs ont, selon elle, davantage tendance à avoir une vision négative de leur patient en les jugeant incapables et irresponsables.

Pour finir, l’anthropologue pointe du doigt l’insuffisante culture de coordination entre les professionnels de santé. « Les jeunes médecins ne sont pas systématiquement formés à travailler avec d’autres professionnels de santé comme les infirmières, les pharmaciens ou les pharmacologues », souligne-t-elle. « Pourtant ces acteurs sont les plus susceptibles de diminuer le nombre de produits dans les ordonnances car ils sont plus critiques ou formés à leurs effets. » L'avènement d'une médecine où l'on mettrait la pédale douce sur les cachetons n'est, pour l'instant, qu'un doux rêve... 

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(1) Programme de rechercher sur la coordination des soins ambulatoires durant la phase aigüe du cancer.

Pour en savoir plus : Positivisme et dépendance : les usages socioculturels du médicament chez les médecins généralistes français, 2012

www.formindep.org/Les-surprescriptions-de.html

 

 

 

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