« Médecin du RAID a été ma plus belle aventure humaine, et c’est probablement là où je me suis senti le plus à ma place d’un point de vue professionnel »

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Du Bataclan à l’attentat de Nice, mais surtout des heures à s’entraîner, à réfléchir, à trouver la bonne tactique pour être prêt toujours pour agir, soigner, essayer de sauver des vies, en risquant la sienne. C’est l’expérience de Matthieu Langlois, médecin du Raid pendant 14 ans, dont 9 ans, en tant que médecin chef. Une aventure qui marque et qui se raconte.

« Médecin du RAID a été ma plus belle aventure humaine, et c’est probablement là où je me suis senti le plus à ma place d’un point de vue professionnel »

Matthieu Langlois, médecin du RAID pendant 14 ans.

© DR.

What’s up Doc : Déjà, pour commencer, comment se retrouve-t-on médecin du RAID ?

Matthieu Langlois : Je suis médecin, spécialisé en anesthésie-réanimation, j’ai été diplômé en 2 000. J’ai toujours essayé de conjuguer une expérience hospitalière et une expérience préhospitalière. En clair, j’ai toujours fait du secours et de l’hôpital, dans le privé comme dans le public, surtout en orthopédie et traumatologie. Et j’ai toujours essayé d’aller voir en dehors de l’hôpital ce qu’il se passait : assistance, secours, pompiers, SAMU, secours en haute montagne, expéditions… En 2007, je suis arrivé au RAID. J’y suis resté 14 ans, dont 9 ans de médecin chef.

 

Et ça consiste en quoi d’être médecin du RAID ?

ML. : D’abord, c’est une fonction qui est uniquement opérationnelle. On ne fait pas du tout de médecine d’aptitude, de médecine de prévention, de médecine du travail… L’idée c’est d’avoir toujours, au minimum, un médecin intégré dans les opérations du RAID. Mais pour être intégré, cela veut dire que le médecin a toutes les compétences médicales, bien sûr, mais cela demande aussi de se former à tout un tas de pratiques, de maitrise d’équipements, d’outils, de moyens de communications, du domaine de l’intervention policière, qui peut faire penser aux forces spéciales.

 

Le médecin est là pour soigner les membres du RAID qui tombent ?

ML. : Le médecin est là pour soigner tout le monde, soigner toutes les personnes blessées, au cours d’un assaut, qu’ils soient policiers du RAID, terroristes ou otages.

 

Est-ce que ça ne se rapproche pas plus de la médecine d’urgence que de l’anesthésie-réanimation ?

ML. : A la création du service de médecins du RAID il y a 15-20 ans, la spécialité médecine d’urgence n’existait pas. Les anesthésistes-réanimateurs étaient les médecins les plus expérimentés dans les urgences vitales. Désormais on recrute moitié anesth-réa, moitié urgentiste.

 

« C’est au Bataclan que je me suis senti le plus utile dans toute ma carrière médicale »

 

Est-ce que dans votre exercice de médecin du RAID vous avez assisté à des assauts rentrés dans l’histoire ?

ML. : Au départ nous étions entrainés et équipés pour assurer la médicalisation des blessés sous le feu en cas d’assaut. Et en 2012, il y a eu l’affaire Merah, à laquelle j’ai participé. Et là nous nous sommes dit, comment on gère s’il n’y a pas un ou deux blessés, mais s’il y en a 200. C’est le concept des tueries de masse. Il nous manquait des outils. Je suis allé regarder ce qu’il existait à l’étranger, aux États-Unis, en Norvège, chez les militaires, comme chez les civils. Il n’y avait rien pour faire face à ce genre de situation rapidement. Donc nous avons travaillé des process, pour, par exemple répondre à la situation du Bataclan. Parce qu’il n’y a que les médecins du RAID aptes à agir sous le feu. Et j’ai été le premier concerné par le Bataclan.

 

Du coup pour la tuerie du Bataclan, vous étiez combien de médecins ?

ML. : Pour le Bataclan, nous étions deux médecins du RAID, on a fait tout le travail de triage, quelques gestes (garrots, compressifs, insufflations). On était aidés par les policiers qui étaient à côté de nous. Mais le gros des secours n’est pas là quand on intervient. Nous quand on était dans le Bataclan en train de nous occuper des blessés, les terroristes étaient encore à l’étage. Et on parlait d’un colis piégé, peut-être d’une bombe… Nous intervenons vraiment au cœur de la menace. Notre rôle c’est de gagner du temps sur l’évacuation, en étant capable de venir au cœur de la menace, pour faire plus du sauvetage que du soin.

 

Le Bataclan a été l’évènement le plus marquant de vos années au RAID ?

ML. : C’est l’évènement où je me suis dit que tous les efforts qu’on fournissait, à l’entrainement, tous les sacrifices qu’on faisait, avaient un sens. C’est là que je me suis senti le plus utile de toute ma carrière médicale, ça c’est sûr.

 

Il y a une formation médicale spécifique pour le RAID ?

ML. : Je suis secrétaire de la société française de médecine de catastrophe, où l’on forme des médecins urgentistes. Mais notre formation se fait aussi beaucoup sur le terrain avec beaucoup d’exercices, d’entrainements, de mises en situation. Après pour gérer les hémorragies, autant aller dans les hôpitaux ou dans les blocs ou les Samu pour continuer à pratiquer, ce que font tous les médecins du RAID, 40% du temps. C’est comme cela qu’on gère notre préparation.

 

« La qualité première d’un médecin du RAID c’est de prendre des décisions difficiles dans des conditions extrêmes »

 

Et au RAID il n’y a pas de médecin psychiatre, pour gérer la négociation, comme dans les films ?

ML. : Non. Sur une prise d’otages, où il y a un profil psychiatrique, on donne notre avis de médecin, sur les médicaments, sur l’agitation. Mais la négociation, c’est un outil policier pour gagner du temps, pour permettre de mettre en place des techniques, mais ce n’est pas du soin. On n’est pas dans la thérapeutique et dans le soutien psychologique. Tout ça se fera en aval.

 

Et il n’y a pas non plus de cellule psychiatrique ou psychologique pour la prise en charge des policiers après les interventions ?

ML. : Non, la meilleure protection, c’est d’avoir un haut niveau d’exigence, chercher l’amélioration permanente. Après les évènements, il faut toujours un retour d’expérience, essayer d’analyser d’une façon factuelle ce qu’il s’est passé, être honnête et vouloir s’améliorer. C’est ce qui protège le mieux du psycho-trauma. Après clairement il n’y a pas de surhomme, on peut tous avoir des moments de fatigue, des moments de moins bien. Mais je n’ai jamais vu un mec flancher après un évènement grave, que ce soit l’hyper casher, le Bataclan, Nice… Après nous sommes aussi recrutés pour des qualités psychologiques.

 

Vous parlez du Bataclan et de Nice, donc quand on est au RAID, on intervient sur toute la France ?

ML. : Le RAID a une compétence nationale. Depuis 2015, il y a 10 antennes sur tout le territoire, qui sont de petites unités, avec toujours un médecin en soutien. Ça permet un temps de réponse beaucoup plus rapide. Et la cavalerie arrive dans un deuxième temps de Paris.

 

Il y a des médecins 24/24 au RAID ?

ML. : Il y a deux médecins par jour qui passent leur journée à s’entraîner et des astreintes la nuit. Mais quand je dis que c’est exigeant, c’est vraiment qu’on ne compte pas nos horaires, en particulier dans les années 2015 à 2018 on a passé nos nuits à s’entrainer, à faire des exercices, à réfléchir, à travailler les procédures… C’est une exigence physique, psychologique, tactique, médicale… Avec les médecins dont j’avais la charge, on pouvait passer nos nuits sur un exercice et le lendemain matin on continuait à travailler, ou on allait sur une mission. Je n’en ai jamais vu un me dire qu’il avait dépassé son nombre d’heures.
Entraînement sportif, entraînement psychologique, entraînement tactique… Comment s’intègre un médecin à un groupe d’assaut ? Ça ne s’improvise pas. Ça demande des heures et des heures d’entrainement, voire des années, pour bien comprendre où est sa place, quel est le rôle de chacun, comment s’adapter à une situation, comment s’adapter à la menace, à l’incertitude. Toutes les situations sont des situations de crise avec un danger permanent.

 

Et avez-vous eu peur pour votre vie parfois ?

ML. : Il m’est arrivé d’avoir peur, mais j’ai toujours transformé ma peur en action de manière très rapide, et j’étais formé pour ça. Après je le faisais aussi parce que j’étais avec un groupe dont je connaissais le niveau et la performance. Je ne me serais pas amusé à rentrer seul dans le Bataclan. Au RAID la sécurité prime sur le secours, donc les procédures de sauvetage sont validées par le commandement.

 

Et qu’est-ce qui vous a donné envie personnellement d’intégrer le RAID ?

ML. : On est venu me chercher. J’ai pris quelques mois pour réfléchir mais j’avais le profil.

 

Et quel est le profil de médecin du RAID ?

ML. : Il faut avoir une vraie expérience de l’urgence vitale en tant que spécialiste. Et il faut un profil physique et psychologique : il faut aimer l’aventure humaine, il faut être sportif, il faut avoir du sang froid. La qualité première c’est d’être capable de prendre des décisions difficiles dans des conditions extrêmes.

 

Est ce qu’il y a des femmes médecins du RAID ?

ML. : Oui il y en a eu une, qui est restée 5 ans, mais elle est partie cette année. Il y a des candidatures de femmes, mais c’est très exigeant et compliqué. D’abord, pour la simple et bonne raison qu’il n’y aura aucune dérogation, en rien, pour une femme, alors sur l’aspect prise de décision sous stress, ce n’est pas un problème, mais vu les conditions, vu la fatigue dans laquelle on exerce, vu les contraintes physiques qui peuvent s’imposer, ça peut devenir très compliqué. C’est moi qui voulais absolument une femme médecin et qui l’ai recrutée, mais avec le recul, je ne lui ai pas fait un cadeau.

 

« Je ne me shootais pas à l’adrénaline. Il faut beaucoup de sang-froid. Oui ce sont des aventures particulières, extrêmes, qui sont très riches sur le plan humain. »

 

Donc on ne fait pas médecin du RAID pour la qualité de vie ou l’argent ?

ML. : Ni pour l’argent, ni pour le temps, ni pour la gloire, on le fait parce qu’on a adhéré à ce projet humain et à ce projet de mission. Il ne faut rien en attendre d’autre. Le sens de l’engagement c’est de sauver des vies mais au RAID ce n’est pas tous les jours qu’on sauve des vies, alors que l’entrainement est très dur et tous les jours. C’est une école de l’exigence.

 

Là vous avez arrêté il y a un peu plus d’un an, pourquoi ?

ML. : J’ai arrêté surtout parce qu’il faut savoir passer à autre chose.

 

Mais on arrive à trouver un intérêt et une adrénaline ailleurs après une telle expérience ?

ML. : Oui parce que je ne me shootais pas à l’adrénaline. Il faut beaucoup de sang-froid. Oui ce sont des aventures particulières, extrêmes, qui sont très riches sur le plan humain. Mais il ne faut pas que ça devienne une drogue du tout, au contraire. Donc ce qu’il me manque ce sont mes potes.

 

Et là vous exercez en tant qu’anesth-réa dans un établissement ?

ML. : Oui je continue et en même temps j’ai monté une société de conseils, Hot Zone Rescue. Je conseille des entreprises sur une approche très humaine du pilotage de crise. J’ai travaillé un peu pour les hôpitaux sur les risques terroristes, les risques cyber… Et depuis je travaille pour toute société qui veut renforcer la préparation des équipes face à l’incertitude ou la crise pour devenir plus performant : organiser des exercices, apprendre à faire des retours d’expérience, aller chercher parfois ce qui ne fait pas plaisir, s’améliorer collectivement, mettre en place un PC, la prise de décision sous stress… Ce qui m’intéresse dans cette activité c’est le partage et la transmission.

 

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Le RAID aura été la plus belle expérience de votre carrière ?

MD. : Je ne vais pas dire que le Bataclan est la plus belle partie de ma carrière, il y a eu 130 morts. Mais le RAID a été ma plus belle aventure humaine, et c’est probablement là où je me suis senti le plus à ma place d’un point de vue professionnel.

En 2016, Matthieu Langlois a publié, Médecin du RAID, Vivre en état d’urgence
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