Les portes de l'envers

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Critique de "Slalom" de Charlène Favier (sortie le 19 mai 2021)

Les portes de l'envers

Lyz, 15 ans, intègre une fabrique à champions de ski. Un peu plus paumée mais beaucoup plus compète que ses camarades, elle va devenir la coqueluche de son entraîneur et subir son emprise... Un premier film dépouillé à l'extrême, direct, simple et puissant. 

Retour gagnant au cinéma: Slalom aurait été l'un des films les plus forts de cette curieuse année 2020, mais nul doute qu'il marquera celle-ci, que l'on espère exceptionnelle. Un film réalisé méthodiquement, sans l'ombre d'un pathos, à hauteur de femme, et qui renverse le point de vue classique du film de sport. Et c'est là toute la puissance du film de Charlène Favier: elle accompagne le spectateur à changer de regard, sans jamais l'y forcer, sur la thématique archi-rebattue et régulièrement idéalisée de la dyade mentor-élève.

Lyz a déjà le corps d'une femme et est interprétée par une actrice adulte, tandis que son entraîneur, auquel la réalisatrice prête les traits d'un Jérémie Rénier qui a toujours gardé un aspect juvénile et dont le jeu brut évacue toute tentation d'ambiguïser ou de masculiniser à outrance sa composition de manipulateur, est resté prisonnier d'un rêve d'enfance brisé. Les frontières sont brouillées, le manichéisme hors piste, la partition à l'os. Il suffirait d'ôter quelques scènes au film pour que l'on soit dans une histoire classique de dépassement de soi, à laquelle un scénariste hollywoodien paresseux et bien macho serait venu ajouter une pincée de romance. Un savant dosage entre Rocky et A star is born. Alors que...

...non, définitivement non, nous ne sommes pas sur ce terrain-là. Ou plutôt nous n'y sommes plus. La bluette stéréotypée serait probablement passée crème dans les années 80-90, voire au-delà. Mais il suffit de ces fameuses scènes pour rétablir l'ordre des choses, l'implacabilité du réel. Non parce qu'y sont clairement montrés des actes sexuels sur mineure, mais parce que la caméra de Charlène Favier et le talent sidérant de Noée Abita nous obligent, de par ses regards autant que son silence assourdissant, à voir en face ce qu'est un abus sexuel. C'est ça, un viol: un comportement qui n'appartient qu'à l'agresseur, celui qui a la parole, la force, l'autorité de son côté. Et Charlène Favier, femme réalisatrice, exonère avec une simplicité confondante son héroïne de toute la responsabilité que l'on pourrait ête tenté de lui prêter dans la préparation et la réalisation de ce crime. Quand bien même elle est taiseuse, ambitieuse, séduite par cet entraîneur qui lui apporte ce qu'elle aurait voulu trouver chez ses parents, elle n'est qu'un animal piégé dans les phares d'une fascination aveuglante, un rôle désincarné dans l'esprit d'un scénariste de sa propre revanche dont la pédagogie est un alibi bien pratique. Le seul acteur, le seul actif, le seul responsable, c'est l'adulte. Le monde du sport, comme nimporte quel environnement poussant à l'objectalisation, en étant bien évidemment le complice. 

Il fallait ce talent conjugué de la réalisatrice et de son interprète, cette communion de regard et de force, pour rendre évident tout cela. A elles deux, elles évitent chaque chausse-trappe, franchissent chaque obstacle comme autant de portes :  Slalom ne prend ainsi jamais la direction d'un film-thèse, d'un réquisitoire, et le scénario ne dévie jamais de l'essentiel, ne se dope à aucun rebondissement inutile. Il reste sur la ligne droite qu'il s'est tracée, pour aboutir à une fin dépouillée s'inscrivant dans une belle sororité, celle d'Adèle Haenel et de Virginie Despentes. Dire non. Et se barrer.

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