"Les policiers utilisent presque à bout portant ces armes de guerre sur des manifestants"

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Le professeur et neurochirurgien Laurent Thines, à l’origine d’une pétition intitulée "Les soignants français pour un moratoire sur l’utilisation des armes dite "moins-létales", a exprimé sa colère face à l’avalanche de blessés graves et de lésions observées dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, lors d’un débat ce mercredi.
 

"Les policiers utilisent presque à bout portant ces armes de guerre sur des manifestants"

Si vous suivez, de près ou de loin, le mouvement des gilets jaunes, vous avez forcément entendu parler des désormais illustres LBD 40. Vous savez, ces soit-disant « armes non-létales », ces nouveaux lanceurs de balle de défense de 40 mm de diamètre utilisés depuis le début du mouvement social par les forces de l’ordre françaises qui en sont équipées depuis 1999.
 
Révolté par l’usage des lanceurs de balle de défense (flash-ball, LBD40) ou de grenades défensives (de type lacrymogène, assourdissante GLI-F4 ou de désencerclement) par les forces de police depuis plusieurs mois, le professeur Laurent Thines, neurochirurgien et chef de service au CHRU de Besançon, est à l’origine d’une pétition intitulée "Les soignants français pour un Moratoire sur l’utilisation des armes dite "moins-létales". À ce stade, celle-ci a déjà récolté 170 000 signatures.
 
Ce même Laurent Thines était invité mercredi 20 mars à un débat à la Bourse du travail à Paris sur la thématique suivante : "la répression, la violence policière, la loi anti-manifestations". À ses côtés : Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, David Dufresne, le journaliste indépendant ayant recensé les blessés des dernières manifestations, ou Christian Mouhanna, sociologue spécialiste du maintien de l'ordre.
 

Colère de médecin

Le neurochirurgien a exprimé sa colère de médecin face à l’avalanche de blessés graves et de lésions observées chez les personnes blessées par « ces armes classifiées comme armes de guerre » lors des manifestations des gilets jaunes.« Les blessés ne se comptent plus par dizaines, mais par centaines. On est face à un scandale sanitaire, et c’est pour ça que les soignants, les médecins, les chirurgiens doivent prendre position sur le diagnostic de gravité de ces lésions occasionnées par ces armes », a-t-il lancé en guise d’introduction.
 
En effet, depuis le début du mouvement des gilets jaunes, le journaliste indépendant David Dufresne, qui compile les violences policières sur son compte Twitter avec le désormais célèbre « Allo place Beauveau », a comptabilisé 550 signalements, 1 décès, 222 blessures à la tête, 22 éborgnés et 5 mains arrachées (chiffres du 22 mars 2018).
 
Dans le viseur de Laurent Thines, le projectile de type LBD 4O qui, lancé à plus de 90m/sec (324 km/h), a une force d’impact de 200 joules, a rappelé à l’assistance le médecin : « Donc, quand vous prenez un tir de LBD à quelques mètres, c’est comme si comme si vous preniez dans la tête un parpaing de 20kg lâché d’une hauteur de 1 mètre ! Donc, nous ne sommes pas du tout surpris par la gravité des lésions qui sont occasionnées par des armes. »
 
Et d’expliquer que ces armes à feu « lancent des projectiles à une vitesse considérable », que leur force d’impact à une distance de 40 mètres est de 84 joules, qu’une balle de LBD pèse 40 grammes, ce qui est en effet assez lourd pour une simple balle… Et, « malheureusement, les policiers utilisent presque à bout portant ces armes de guerre sur des manifestants, en dehors de toute recommandation fournie par le constructeur de ces armes », a rappelé le neurochirurgien.
 
Laurent Thines s’est ensuite lancé dans une comparaison avec les violences perpétrées par les gilets jaunes : « On a beaucoup entendu que les manifestants jetaient des boules de pétanque sur les policiers. Mais je condamne aussi la violence des policiers. On ne peut pas tolérer la violence d’un côté comme de l’autre, et on ne peut surtout pas tolérer cette escalade de la violence. »
 

Dix boules de pétanque en pleine figure

D’autant plus que « quand vous prenez un tir de LBD à quarante mètres, c’est comme on vous lâchait dix boules de pétanque en plein figure », a poursuivi le médecin qui a expliqué que « ces armes "sub-létales" ou "moins létales" étaient d’une précision diabolique :
 
« Elles sont équipées d’un diamètre de dispersion de l’ordre de quatorze centimètres à 25 mètres. Cela veut donc dire que quand on tire sur quelqu’un à quelques centimètres, et qu’on vise la tête, c’est vraiment qu’on a visé la tête parce que 14 centimètres, c’est justement le diamètre de votre visage. »
 
Et d’évoquer les grenades défensives utilisées par les forces de l’ordre françaises, les GLIF4 ou les dispositifs de désencerclement, également qualifiés de « véritables armes de guerre car elles contiennent 25 à 30 grammes de TNT. Donc quand vous êtes touchés par une grenade de ce type-là, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des blessures gravissimes ou que cela aboutisse à des décès. »
 
Et de faire allusion aux données scientifiques qui existent sur la dangerosité de ces armes. En particulier une étude publiée en 2017 intitulée "Death, injury and disability from kinetic impact projectiles in crowd-control settings: a systematic review".  Ces travaux résument bien les recherches actuelles réalisées au niveau international sur ces armes "sub-létales", considère Laurent Thines : « Le risque de décès ou d’handicap grave est supérieur au risque de jouer à la roulette russe. Donc ce sont des armes mutilantes et létales. »
 
Le neurochirurgien demande donc que « l’on arrête de se voiler la face pour regarder la réalité en face ». Et de montrer à l’assistance les images des blessés pour témoigner de la gravité des lésions occasionnées, en se concentrant sur l’anatomie de l'extrémité cervico-encéphalique pour illustrer notamment les fracas maxillo-faciaux.
 

Visage fracassé

Blessé par un tir de LBD durant le mouvement des gilets jaunes, Geoffrey a « le visage fracassé ». Quant à Lilian, il est « en train de se rééduquer. Il a un fixateur externe pour tenir sa mandibule qui est complètement cassée. Il doit s’alimenter avec une paille ou avec des aliments qui ont été mixés ».
 
Conclusion de Laurent Thines : « La vie de ces deux gamins est foutue. Ils sont complètement traumatisés, ils ne peuvent plus sortir de chez eux, ils sont complètement désocialisés. Car, au-delà du traumatisme corporel de ces lésions de départ, les soignants qui ont l’habitude de prendre en charge les traumatisés crâniens savent ce que cela implique derrière sur le plan social, familial, professionnel... Au-delà de ces corps mutilés, ce sont des vies qui sont détruites. »
 
Le neurochirurgien a ensuite rapidement passé en revue d’autres types de risques provoqués par ces armes : risques oculaires, risques crâno-cérébraux. Et donc, les lésions provoquées au niveau du crâne. Pour illustrer ses propos, il a mis en parallèle trois images similaires :  celle d’un blessé qui a pris un tir de LBD dans la tempe, celle d’une personne qui s’est faite « tabassée avec une batte de baseball » et un incident de la route.
 
Or, « on ne voit pas de différence flagrante entre toutes ces lésions, a commenté Laurent Thines. Le gilet jaune blessé « a le crâne complètement enfoncé. Et, ce qui est beaucoup plus grave pour moi en tant que chirurgien, c’est de voir qu'il y a des lésions au cerveau »

Malheureusement, « le cerveau est un organe précieux qui ne se répare pas. Quand on a une lésion cérébrale, ce qui est par exemple le cas de personnes qui ont fait des AVC, on ne se remet jamais de ce genre de lésions, ce sont des vies qui sont sacrifiées en raison d’handicaps neurologiques. »
 
Et de conclure : « Je tiens à rendre hommage à tous ces blessés. C’est le mur de la honte pour notre pays, c’est pour ça qu’il a été condamné par les instances internationales. Ce n’est plus tolérable que l’on utilise dans notre pays des armes contre ces citoyens qui viennent juste défendre leurs droits dans les rues. C’est pour ça que j’ai pris l’initiative de lancer cette pétition, car, en tant que médecin, je ne peux pas supporter de voir, dans le pays des droits de l’homme, des gens qui ont manifesté revenir le soir avec des blessures aussi graves. C’est juste insupportable. »
 

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