Les phages, de puissants tueurs à l'assaut des bactéries résistantes

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Pour lutter contre l'antiobiorésistance de certaines bactéries, les scientifiques misent sur la phagothérapie. 

Les phages, de puissants tueurs à l'assaut des bactéries résistantes

Ce sont des meurtriers puissants et invisibles, tapis dans l'ombre des égouts ou des rivières, aux pouvoirs pourtant bénéfiques. Depuis quelques années, les phages sont une piste prise très au sérieux dans la lutte contre la résistance croissante aux antibiotiques observée dans le monde.

Tellement au sérieux même, que le ministère de la Défense américain étudie l'option de près. Aux États-Unis, la biotech Adaptive phage therapeutics a ainsi obtenu le soutien de l'armée américaine, qui a également financé une autre société travaillant sur les phages, Armata Pharmaceuticals.

Dans la ligne de mire de ces scientifiques : le staphylocoque doré ou encore le pseudomonas aeruginosa, ciblés par l'Organisation mondiale de la santé comme faisant partie des bactéries résistant aux antibiotiques les plus menaçantes pour la santé humaine.

C'est contre certaines de ces bactéries, dont également Escherichia coli, que la biotech Pherecydes Pharma opère, à Romainville, en banlieue parisienne. La société française, qui va bientôt démarrer des essais cliniques contre le staphylocoque doré, a déjà soigné 36 patients grâce à ses phages, produits dans un processus très sécurisé dans son laboratoire.

Mais d'abord, de quoi s'agit-il ? Les phages sont les organismes vivants les plus nombreux au monde. Des virus qui tuent des bactéries précises, et qui se retrouvent par milliards dans la nature... mais ne s'attaquent pas à l'homme.

Ces organismes sont armés naturellement pour viser les bactéries : leurs pattes vont se fixer sur elles, et leur queue leur permettra de leur injecter leur ADN. Une fois en place, ils vont détourner la machinerie biologique des bactéries pour fabriquer de nouveaux phages.

De l'importance de filtrer

La phagothérapie n'est pas neuve : elle a été développée au début du XXe siècle, puis laissée à l'abandon à l'arrivée des antibiotiques dans les années 1940.

Si elle a perduré dans certains pays d'Europe centrale, elle présentait pourtant, jusqu'à récemment, des inconvénients majeurs, qui expliquent sa mise à l'écart. Il est très difficile de sélectionner les bons phages, de les produire et surtout de les purifier, détaille ainsi le président du directoire de Pherecydes, Guy-Charles Fanneau de la Horie. « C'est notre savoir-faire », dit-il, jugeant que la résistance aux antibiotiques est « une bombe sanitaire en préparation ».

Dans le laboratoire, tout débute par quelques litres d'eau sale, prélevée dans les égouts proches des hôpitaux par exemple, des endroits où les bactéries résistantes aux antibiotiques adorent pulluler.

Les chercheurs vont placer ces prélèvements sur des cultures de bactéries, dans des boîtes de Pétri. Lorsqu'apparaissent des trous, cela signifie que la bactérie a été détruite, et que le bon phage est présent. Reste alors au laboratoire à le faire croître, et à le soumettre à plusieurs processus de filtrations, afin qu'il soit totalement purifié et débarrassé de toute trace de la bactérie initiale.

Le tout donne des doses de 1 mL, contenant chacune la bagatelle d'un milliard de phages. C'est l'un des autres atouts de cette thérapie : elle demande des doses minimes, fait valoir le président de Pherecydes, qui travaille sur trois bactéries, et espère commercialiser ses phages d'ici quatre à cinq ans.

Alors que la résistance aux antibiotiques est devenue un enjeu de santé publique, les phages pourraient donc représenter un atout de plus dans l'arsenal des médecins. Aux États-Unis, l'Université de San Diego, en Californie, a même créé un centre de recherche qui leur est consacré. Outre-Atlantique, Armata pharmaceuticals a démarré ses essais cliniques sur les infections à pseudomonas.

A Paris, le docteur Alexandre Bleibtreu, infectiologue à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, croit également dans les possibilités de cette thérapie. Le médecin a d'ailleurs utilisé des phages de Pherecydes sur l'une de ses patientes, qui a guéri, dans le cadre d'un traitement dit compassionnel. Mais il admet que la phagothérapie nécessite un développement important avant d'être utilisée de façon routinière.

« Nous en sommes aux prémices. On n'a pas de grande banque de phages », indique-t-il, ce qui limite les indications pour lesquelles la phagothérapie pourrait opérer.

Il faut aussi davantage d'essais cliniques. « La phagothérapie ne pourra prendre sa place que dans une science solide », dit-il ainsi. Dans ces conditions, le scientifique se dit « persuadé » qu'il s'agit d'une thérapie d'avenir.

Avec AFP

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