"Les annuaires communautaires sont de mauvaises solutions à de vrais problèmes"

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Suite à sa condamnation de l'initiative prise par le Collectif Globule noir d'établir des listes de soignants noirs, le Conseil national de l'Ordre des médecins a suscité sur les réseaux sociaux des réactions extrêmes. Comme pour apaiser le débat, le Cnom a accepté de répondre à nos questions. Entretien avec Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l'Ordre des médecins.

"Les annuaires communautaires sont de mauvaises solutions à de vrais problèmes"

What's up Doc. Pourquoi avoir publié ce communiqué ? Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre position ? 

Dr Jean-Marcel Mourgues. C’est un sujet récurrent, qui n’est pas nouveau. Mais récemment, il y a eu un événement particulier qui fut l’interpellation par la Licra sur Twitter de Globule noir. Lors d’un échange bilatéral entre les présidents des ordres infirmiers et médecins, le souhait commun d’écrire un communiqué de presse sur le sujet est né. 

WUD. Est-ce que vous connaissiez ce groupe, globule noir ? 

Dr J.-M. M. Non nous ne le connaissions pas. Mais l’une de mes collaboratrices m’en a parlé récemment.

WUD. Vous avez reçu des marques de soutien suite à la publication de votre communiqué mais aussi, et surtout, en grand nombre, des messages de colère notamment sur Twitter. Est-ce que vous vous attendiez à cela ? 

Dr J.-M. M. Cette désapprobation est particulière. Nous nous rendons compte que certains ont saisi l'occasion de la publication de ce communiqué de presse, pour en faire un exutoire, exprimer son ressentiment, son mal-être. J’essaye de prendre un peu de hauteur de vue ; je n’y vois pas forcément une expression de colère contre une institution qui est l’ordre des médecins, mais davantage une incompréhension, sur un sujet très sensible. Comme nous avons porté le sujet cet été, nous sommes le réceptacle de ce mal-être. Sur Twitter, nous nous apercevons que ces échanges ne sont pas uniquement dirigés contre l’ordre des médecins, mais que ce sont des attaques groupe contre groupe. Depuis 48 heures, nous nous rendons compte qu’il y a des tendances très opposées, parfois très connotées politiquement, et nous ne sommes pas là pour prendre fait et cause pour tel mouvement politique ou tel autre. Nous avons là l’expression de la société française, dans ses fractures.

WUD. Dans votre communiqué vous affirmez que les soignants ne peuvent être taxés de racisme. Ne pensez-vous pas que les médecins et les soignants sont des gens comme tout le monde, qui peuvent être aussi porteurs de racisme ?

Dr J.-M. M. Il faut prendre un peu de hauteur de vue. Les soignants, très majoritairement à l’écoute de leurs patients et animés par des valeurs profondément humaniste, peuvent être aussi porteurs de discrimination. Contre cela, il faut encourager, dans les règles de droit, à ce que ces discriminations soit portées devant la justice, et les forces de l’ordre. Sur le plan factuel, en lisant les tweets suite à la publication de notre communiqué de presse, on peut constater que certains se plaignent de discrimination, sans pour autant que ces faits aient été portés devant l’ordre ou la justice. Il n’y a pas de plainte. C’est le rôle de l’Ordre des médecins de défendre l’accès au soins, et d’assurer aux patients la même qualité de soins. Sans discrimination. Mais les réseaux sociaux ne sont pas le bureau des plaintes. Cela doit faire l’objet d’un signalement auprès du conseil départemental du médecin incriminé. Il faut vraiment traquer toutes ces attitudes discriminatoires qui ne sont pas acceptables. Il n’y a aucune polémique là-dessus. 
Dans tous ces messages sur les réseaux sociaux, on nous accuse de nier les discriminations. Pas du tout ! Ce communiqué de presse était succinct. Il n'y a chez nous aucun déni des dérives discriminatoires individuelles, qu’il faut condamner. L’ordre s'y oppose fermement, sans aucune ambiguïté. Si ces conduites sont avérées, elles doivent être sanctionnées. Par ailleurs, nous ne nions pas les difficultés d’accès aux soins. D’ailleurs, ces difficultés d’accès aux soins ne concernent pas que les minorités. Elles doivent être solutionnées dans une réforme globale du système de santé, qui irait au-delà du Ségur. Car c’est un réel problème. Nous avons par exemple mis sur notre site récemment un dossier sur les inégalités d’accès aux soins et les inégalités sociales.

 

Certains se plaignent de discrimination, sans pour autant que ces faits aient été portés devant l’ordre ou la justice

WUD. Vous dites que vous allez engager des actions contre Globule Noir, de quelle nature ?

Dr J.-M. M. Pas du tout ! Une commission de l'Ordre s’occupe du refus d’accès aux soins, il y a aussi une section éthique et déontologie du Cnom, pour déployer un ensemble de mesures pour l'accès aux soins, mais nous ne pouvons pas tout faire tout seul. Nous regrettons qu'il y ait des réflexions qui n’ont pas été transversales et nous apprenons par exemple que le syndicat national des jeunes médecins (SNJMG) a pu travailler sur ces questions, mais sans pour autant qu’il y ait eu partage de ce travail sur l'accès aux soins. Mais je le répète : les annuaires communautaires sont de mauvaises solutions à de vrais problèmes.

Les réseaux sociaux ne sont pas le bureau des plaintes

WUD. Justement au sujet des annuaires communautaires, on vous accuse de faire deux poids deux mesures, puisqu’il existe d’ores et déjà des annuaires communautaires confessionnels par exemple, contre lequel l’Ordre n’a rien fait, pourquoi ?

Dr J.-M. M. Nous ne sommes pas la police des réseaux sociaux. Ces annuaires dit confessionnels se sont constitués, sans pour autant qu'il y ait grand monde qui ait porté grief contre leur existence. Il n’y a pas eu de doctrine là-dessus. Nous nous opposons à ces annuaires de manière générale, car nous pensons que cela porte les germes de la discrimination, en encourageant un exercice de la médecine exclusiviste, lequel serait en contradiction avec l'article 7 de notre code de déontologie. L'humanisme médical a une vision universaliste de l’accès aux soins. Nous savons néanmoins que les médecins de terrain ont parfois des problèmes d’adressage des patients vers des structures de soins les plus adaptés possibles. Les parcours de soins sont parfois laborieux, chaotiques, mais pour autant,  évoquer un acte discriminatoire quand on a été mal adressé n'est pas juste, mais permet de légitimer ainsi des annuaires communautaires. La mise en place de ces annuaires participe d’une vision abandonnique de la République. Cela ne peut qu’alimenter la fracture sociale. Nous voulons consacrer la non-discrimination dans l’accès aux soins, tout en comprenant la bonne foi de certains qui ont pu initier des mesures qui ne nous paraissent pas adéquates. Nous appelons à la raison les uns et les autres dans un dialogue constructif, et ce n’est pas en nous invectivant sur les réseaux sociaux que nous allons résoudre les problèmes. Il y a des problèmes, mais évitons les solutions qui ne font qu’aggraver cette fracturation, entretenir de la discrimination. 
 

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