Le feuilleton judiciaire du Mediator rebondit, un ex-directeur estime que ce n'était pas qu'un coupe-faim

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Au procès en appel du Mediator, un ancien dirigeant du groupe Servier a maintenu hier qu'on ne pouvait pas réduire ce produit à un coupe-faim, alors que le laboratoire pharmaceutique est accusé d'avoir dissimulé cet effet du médicament et sa nocivité.

Le feuilleton judiciaire du Mediator rebondit, un ex-directeur estime que ce n'était pas qu'un coupe-faim

© IStock 

"Je conteste le fait que le Mediator soit un médicament anorexigène", a assené devant la cour d'appel de Paris Emmanuel Canet, ex-directeur de la recherche et du développement du groupe Servier, en contradiction avec l'avis des experts interrogés par la justice.

Mis sur le marché comme antidiabétique en 1976 mais indûment prescrit comme coupe-faim jusqu'à son interdiction en 2009, le Mediator a entraîné de graves effets secondaires cardiovasculaires sur des milliers de patients, entraînant parfois leur mort.

Les laboratoires Servier et leur ancien numéro deux sont jugés en appel depuis le 9 janvier pour "tromperie aggravée", "homicides et blessures involontaires", "obtention indue d'autorisation de mise sur le marché" et "escroquerie"

En première instance, en mars 2021, le tribunal avait estimé que l'entreprise pharmaceutique savait dès le développement du Mediator qu'il se transformait dans l'organisme en norfenfluramine, une substance de la famille des amphétamines aux propriétés de coupe-faim.

Et il avait conclu que les laboratoires "disposaient à partir de 1995, de suffisamment d'éléments pour prendre conscience des risques mortels" provoqués par cette molécule, responsable d'atteintes des valves cardiaques et d'hypertension artérielle pulmonaire.

"Je m'inscris vraiment en faux avec l'idée qu'ont voulu faire valoir les experts judiciaires, que le benfluorex (la substance active du Mediator), ça ne serait que de la norfenfluramine", a déclaré Emmanuel Canet, 69 ans, toujours salarié de Servier en tant que conseiller.

Les propriétés de la norfenfluramine pour diminuer la sensation de faim ont été utilisées dans plusieurs traitements de l'obésité (comme l'Isoméride et le Pondéral, également commercialisés par Servier), finalement retirés du marché à la fin des années 1990 en raison d'importants effets indésirables.

Pour le toxicologue, les arguments de Servier pour "démontrer l'action amaigrissante" du Mediator sans invoquer sa "nature anorexigène" n'étaient qu'"un artifice de langage"

Mais même si le Mediator entraîne lui aussi la production de cette substance, Servier l'a toujours présenté comme un médicament "original", sans effet anorexigène, expliquant son effet de perte de poids par le fait qu'il "modifie le métabolisme des lipides et des glucides", comme l'a répété Emmanuel Canet, en costume noir à la barre, cheveux gris ébouriffés.

Souvent technique dans ses réponses, tentant d'établir de nombreuses distinctions ("est-ce que vous parlez de pharmacologie ou de pharmacovigilance ?"), le témoin trouve de la répartie chez le président de la cour, Olivier Géron.

"Ce n'est pas ma question", le recadre plusieurs fois le magistrat.

"Est-ce qu'il n'y a pas eu pendant 25 ans une réticence durable de Servier à mentionner la norfenfluramine comme métabolite du Mediator ?", l'interroge-t-il encore.

"Il n'y a pas réticence, il n'y a pas dissimulation, les autorités (sanitaires) ont parfaitement connaissance que l'un des métabolites du benfluorex est la norfenfluramine", assure Emmanuel Canet, qui représentait le groupe Servier pendant l'information judiciaire et au procès en première instance.

Mercredi, Ivan Ricordel, un des trois auteurs du rapport d'expertise rédigé pendant l'information judiciaire, s'était montré catégorique : "le Mediator a parmi ses propriétés incontestablement un effet anorexigène".

Pour le toxicologue, les arguments de Servier pour "démontrer l'action amaigrissante" du Mediator sans invoquer sa "nature anorexigène" n'étaient qu'"un artifice de langage".

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/le-proces-en-appel-du-mediator-commence-petit-tour-dhorizon-des-grandes-dates-de-cette

Selon lui, le laboratoire a fait un choix marketing en positionnant le Mediator "comme "adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale", parce qu'en tant que coupe-faim, il "n'apportait strictement rien de nouveau" par rapport aux molécules déjà sur le marché, l'Isoméride et le Pondéral.

Or ce positionnement, et l'occultation du rôle de la norfenfluramine, "l'écartait de la surveillance (des coupe-faims) engagée" dans les années 1990, a-t-il souligné.

Un argument repris hier par Charles Joseph-Oudin, avocat de nombreuses parties civiles.

"Est-ce que le fait que (le Mediator) ne soit pas étiqueté comme un anorexigène (...) n’explique pas le peu de remontées de cas de pharmacovigilance", les effets indésirables signalés aux autorités sanitaires, demande-t-il au témoin.

"Je ne pense pas que ça soit ça qui explique le peu de cas notifiés. Il y a plein de raisons qui expliquent la sous-notification", persiste Emmanuel Canet.

Avec AFP

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