La vérité sans face

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Ciné week-end: Phoenix, de Christian Petzold (sortie le 28/01/2015)

La vérité sans face

Phoenix est un film qui résonne en nous bien longtemps après sa vision. Un puissant film sur le déni. A partir d'une trame classique, presque hitchcockienne, et avec une infinie pudeur, il raconte des choses terrifiantes - sur le projet fou d'annihilation identitaire des nazis, et sur nous-mêmes.

Du voyage au bout de l'Enfer de Nelly, on ne verra rien ou presque. On la suit après son sauvetage, sa lente reconstruction d'abord, puis le projet, presque imposé, de s'installer dans une Palestine qui n'est pas encore Israël. On veut lui faire endosser une identité qu'elle n'a pas recherchée, qu'elle a même rejetée avant guerre, mais qui à présent prend un sens nouveau, celui de l'impériosité de survivre et de se protéger, de témoigner de la survivance du peuple juif, elle devenue l'unique héritière de sa famille décimée.

Mais cet héritage trop lourd à porter, Nelly n'en veut pas. Elle s'entête à retrouver Johnny, son mari, à croire que rien n'a changé dans cette ville aussi ravagée que son visage et qui autrefois a voulu sa mort. Quand Johnny la reconnaît non pas pour qui elle est mais pour un vague sosie, elle continue d'espérer. Elle s'accroche. L'amour? Pire que ça, nous suggèrent Christian Petzold et Nina Hoss, sa formidable égérie. Quelque chose de l'ordre de l'impossibilité d'être soi face au réel, après une telle destruction. Au déni de Nelly quant à la trahison évidente de son mari fait écho celui de ce dernier, convaincu de sa mort sans en avoir la moindre preuve, ne pouvant envisager ce qui peu à peu devient une évidence. Effacée par les nazis, pourquoi reviendrait-elle?

On entrevoit alors un déni plus terrifiant encore, global, celui d'un peuple et d'une humanité qui préfèrent rester dans leur ignorance. Quand Nelly, obligée de jouer son propre rôle pour aider Johnny à récupérer sa fortune, s'inquiète des questions qu'on pourra lui poser sur son séjour dans les camps, celui-ci la rassure: personne ne lui demandera rien, même pas la peine d'inventer une histoire. Petzold va jusqu'à installer le spectateur dans cette position inconfortable en lui refusant la moindre référence visuelle aux atrocités dont Nelly a été victime, à son visage mutilé, voire à son visage d'avant. La vérité, d'autant plus forte qu'elle est allusive, finira pourtant par se révéler, lors d'un final sec et sans appel....

Source:

Guillaume de la Chapelle

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